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Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)

Titel: Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
Autoren: James Fenimore Cooper
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plusieurs centaines de citoyens étaient fixés sur une voile éloignée qu’on voyait s’élever du sein des vagues, s’avançant dans les eaux prohibées et se dirigeant vers l’entrée du port proscrit. Un rassemblement considérable de spectateurs s’étaient réunis sur Beacon-Hill, en couvraient le sommet conique et la rampe orientale, et regardaient cet objet de l’intérêt général avec cette attention et cette sollicitude profonde pour les événements de chaque jour qui caractérisaient cette époque. Cette foule nombreuse se composait pourtant de gens qui n’étaient pas tous animés par les mêmes sentiments, et dont les uns formaient des vœux diamétralement opposés à ceux des autres. Tandis que le citoyen grave, sérieux, mais prudent, cherchait à cacher sous l’air d’une froide indifférence l’amertume de ses sensations, des jeunes gens, mêlés dans tous les groupes, et dont le costume annonçait la profession militaire, se livraient aux transports d’une joie bruyante, et se félicitaient à haute voix de la perspective qu’ils avaient de recevoir bientôt des nouvelles de leur patrie lointaine et de leurs amis absents. Mais le roulement prolongé des tambours qu’on battait dans la plaine voisine, et dont le son était apporté par la brise du soir, éloigna bientôt tous ces spectateurs oisifs, et laissa la montagne en possession de ceux qui y avaient le meilleur droit. Ce n’était pourtant pas alors une époque à laquelle on pût se livrer à des communications franches et sans réserve.
    Longtemps avant que les vapeurs du soir eussent remplacé les ombres que le soleil faisait tomber du côté de l’occident, la montagne fut entièrement abandonnée, les spectateurs qui y étaient restés en étant descendus chacun de leur côté, pour regagner solitairement, et dans le silence de la réflexion, les rangées de toits sombres qui s’élevaient sur la côte, le long de la partie orientale de la péninsule.
    Malgré cette apparence d’apathie, la renommée, qui, dans les temps de grand intérêt, trouve toujours le moyen de faire entendre un léger murmure quand elle n’ose parler à haute voix, s’empressait de faire circuler la nouvelle désagréable que le vaisseau qu’on venait d’apercevoir n’était que le premier d’une flotte qui amenait des renforts à une armée déjà trop nombreuse et trop fière de sa force pour respecter les lois. Nul bruit, nul tumulte ne succéda à cette fâcheuse annonce ; mais on ferma sur-le-champ toutes les portes des maisons et tous les volets des fenêtres, comme si l’on eût voulu seulement exprimer le sentiment général par ces preuves silencieuses de mécontentement.
    Pendant ce temps le vaisseau était arrivé à l’entrée rocailleuse du havre, et s’y trouvant abandonné par la brise avec la marée contraire, il fut obligé de s’arrêter, comme s’il eût pressenti le mauvais accueil qui lui était dû. Les habitants de Boston s’étaient pourtant exagéré le danger ; car ce navire, au lieu de présenter l’attroupement désordonné d’une soldatesque licencieuse qui aurait couvert le tillac d’un bâtiment de transport, n’offrait que très-peu de monde ; le meilleur ordre régnait sur le pont, et il ne s’y trouvait rien qui pût gêner les passagers qu’il portait. Toutes les apparences extérieures auraient annoncé à l’œil d’un observateur que ce vaisseau amenait quelques personnages d’un rang distingué, ou qui possédaient les moyens de faire contribuer largement les autres à leur bien-être.
    Le petit nombre de marins nécessaires à la manœuvre étaient assis ou couchés de différents côtés, regardant, avec un air d’indolence, tantôt la voile qui battait contre le mât comme une aile fatiguée, tantôt les eaux tranquilles de la baie, tandis que plusieurs domestiques en livrée entouraient un jeune homme qui faisait des questions au pilote, descendu à bord du navire à la hauteur de l’endroit nommé les Sépulcres {6} . Les vêtements de ce jeune homme étaient d’une propreté recherchée, et, d’après les peines excessives qu’il prenait pour les ajuster, on pouvait évidemment conclure que, dans l’opinion de celui qui les portait, ils étaient le nec plus ultrà de la mode du jour. Depuis l’endroit où était ce groupe, près du grand mât, une grande partie du gaillard d’arrière était déserte ; mais près du marin qui tenait nonchalamment la barre du
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