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Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)

Titel: Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
Autoren: James Fenimore Cooper
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bête sauvage plutôt qu’à la voix humaine, et s’élança sur Abigaïl Pray, comme un tigre sur sa proie, tandis que tout ce qui l’entourait frémissait d’horreur et d’épouvante.
    – Misérable ! s’écria-t-il en la secouant fortement par le bras, je te tiens maintenant ! Qu’on m’apporte le livre, le saint livre de la parole de Dieu, et qu’elle se damne par de nouveaux parjures !
    – Monstre ! dit Lionel en s’avançant au secours d’Abigaïl, lâche cette femme à l’instant ! Et toi aussi tu m’as trompé, malgré tes cheveux blancs !
    – Lionel ! Lionel ! s’écria Cécile, retenez cette main dénaturée ; vous la levez contre votre père !
    Lincoln recula comme frappé de la foudre, et s’appuya contre la muraille, pouvant à peine respirer.
    Il était évident que Ralph, ou, pour mieux dire, le père de Lionel Lincoln, en apprenant la calomnie dont on avait noirci la réputation d’une femme adorée, avait éprouvé un nouvel accès de cette aliénation mentale qui allait quelquefois jusqu’à la fureur. Abandonné à lui-même, il aurait bientôt mis fin aux chagrins de la misérable Abigaïl, si l’étranger qu’il avait eu l’adresse de laisser entre les mains des Américains, n’eût ouvert la porte en ce moment, et ne fût entré précipitamment.
    – J’ai reconnu votre cri, mon digne baronnet, s’écria-t-il ; j’ai passé assez d’années à vous garder en Angleterre pour ne pas m’y tromper, et il n’a pas tenu à vous que je ne fusse pendu en Amérique. Mais je ne vous ai pas suivi à travers les mers sans de bonnes raisons ; et, puisque je vous trouve enfin, nous ne nous quitterons plus.
    Animé par le ressentiment qu’il conservait du danger qu’il avait couru dans le camp des Américains, il s’avança pour saisir le baronnet. Celui-ci, dont les yeux avaient étincelé de rage du moment qu’il avait aperçu celui qu’il regardait comme son ennemi mortel, avait abandonné Abigaïl pour s’élancer contre lui avec la fureur d’un lion assiégé par des chasseurs. La lutte fut courte, mais obstinée, et accompagnée de jurements et d’exécrations sauvages. Mais enfin la force surnaturelle que la colère donnait au baronnet l’emporta sur celle de son adversaire : il parvint à le renverser, et, lui appuyant un genou sur la poitrine, il lui serra la gorge avec ses doigts.
    – La vengeance est sainte ! s’écria-t-il en poussant un horrible éclat de rire, et secouant, avec un air de triomphe, ses cheveux gris, qui tombèrent en désordre sur ses yeux égarés ; urim et tumim {74} sont les mots de gloire ! liberté est notre cri ! Meurs, misérable, meurs ! va rejoindre les esprits de ténèbres, et laisse-nous respirer en liberté !
    L’ancien gardien du baronnet, par un effort soudain, parvint à se dégager de la main qui lui étreignait le cou, et s’écria, non sans difficulté :
    – Pour l’amour du ciel et de la justice, secourez-moi ! Verrez-vous assassiner un homme sous vos yeux ?
    Mais c’était en vain qu’il implorait du secours. Les deux femmes s’étaient caché le visage, d’horreur et d’effroi ; Polwarth, toujours privé de sa jambe artificielle, ne pouvait faire un pas ; et Lionel, glacé d’épouvanté et de consternation, était aussi incapable de mouvement qu’une statue. Le baronnet serrait de nouveau la gorge de sa victime, qui semblait sur le point d’étouffer ; mais le désespoir ranima les forces du gardien, et l’on vit sa main frapper trois fois de suite avec violence le flanc gauche du baronnet ; celui-ci se releva au troisième coup, et poussa encore un grand éclat de rire, mais avec un accent si sauvage, qu’il fit frémir tous les spectateurs. Son antagoniste profita du moment, et, se relevant à la hâte, il s’enfuit de la chambre avec toute la précipitation du crime.
    On vit alors que le sang du baronnet coulait à grands flots par trois larges blessures qu’il avait reçues ; et, à mesure que la vie s’épuisait en lui, l’égarement de ses yeux diminuait et la raison semblait reprendre son influence. Ses traits perdirent leur air de satisfaction farouche, et il regardait avec une expression de tendresse paternelle le couple désolé qui prenait à lui un si vif intérêt. Il fit un effort pour parler ; on vit frémir ses lèvres, mais aucun son ne put sortir de sa bouche. Il étendit les bras pour donner sa bénédiction à ses enfants, dans la même attitude
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