L'Homme au masque de fer
vingt ans. Le chemin que nous avons pris pour monter ici nous servira également pour descendre.
M. de Saint-Mars rentra dans le château. Henry et les trois Gascons gravirent l’escalier de pierre, suivi par Jean Martigues, qui les rejoignit sur la plate-forme.
D’un ton humble et craintif, celui-ci demanda à Castel-Rajac :
– Bien que je n’aie pas tenu ma parole, vous n’allez tout de même pas m’abandonner, mon bon lieutenant.
– Non seulement nous ne t’abandonnerons pas s’écria le Gascon, en lui donnant une bourrade, mais tes cinquante mille livres que nous t’avons promises, tu les toucheras dès que nous serons revenus de conduire mon fils à la frontière !
Transporté d’allégresse et de reconnaissance, l’ancien pêcheur allait s’effondrer aux genoux du chevalier ; mais celui-ci, l’empoignant par le bras, lui disait avec toute la belle humeur dont il débordait :
– L’instant n’est pas propice aux effusions. Décampons !
Le premier, il descendit par la corde à nœuds, qui était restée attachée à la bouche du canon. Henry lui succéda ; puis ce furent, tour à tour, M. d’Assignac, Laparède et Jean Martigues, qui, dans son émoi, lâchant la corde avant d’arriver en bas, évita une chute qui aurait pu être dangereuse grâce au véritable matelas que lui présentait le bon gros Assignac en se renversant en arrière et en bombant sa poitrine.
Tous s’empressèrent de regagner la barque, de mettre la voile et, favorisés par un excellent vent du large, ils arrivèrent sans encombre à l’auberge où, fidèles à la consigne que leur avait donnée Castel-Rajac, les indigènes déguisés en mousquetaires attendaient son retour en continuant de vider la cave de la tenancière.
Tous ces gens avaient été racolés dans le pays par Assignac et Laparède qui, non seulement leur avaient versé d’avance une certaine somme, mais leur avaient encore promis une prime importante.
C’étaient tous des contrebandiers de la côte, entraînés aux plus périlleuses aventures et qui ne s’occupaient jamais de la mission dont ils étaient chargés que pour l’exécuter aveuglément, sans autre souci que celui des bénéfices qu’ils pouvaient en retirer.
Aussi ne s’étaient-ils nullement fait tirer l’oreille pour se laisser enrôler par les deux Gascons et manifestaient-ils pour la cause inconnue qu’ils étaient appelés à servir un enthousiasme qui progressait au fur et à mesure que le vin coulait dans leur gosier.
Lorsqu’ils virent reparaître celui qu’ils appelaient déjà leur grand chef, c’est-à-dire le chevalier de Castel-Rajac, ils se levèrent tous d’un même mouvement pour l’acclamer. Sans doute supportaient-ils mieux la boisson que les soldats de M. de Saint-Mars, car Gaëtan, qui n’était pas sans avoir quelque inquiétude à ce sujet, constata avec satisfaction qu’ils tenaient fort bien en équilibre sur leurs jambes.
Tout de suite, de sa belle voix, il lança :
– En selle !
Suivi par sa troupe de faux mousquetaires, il s’en fut dans une cour intérieure où une vingtaine de chevaux étaient attachés. Dans un coin, l’homme au masque de fer, enveloppé d’un long manteau, conversait avec les deux amis de son père adoptif.
Lestement, le lieutenant aux mousquetaires grimpa sur un joli cheval blanc qui piaffait d’impatience. Henry s’installa en croupe derrière lui et tous les autres personnages, y compris Jean Martigues, qui revenait en courant et tout essoufflé d’embrasser encore une fois sa bonne amie, sautèrent sur les autres montures et la cavalcade s’enfonça dans la nuit.
Lorsque Castel-Rajac et ses amis arrivèrent à la frontière italienne, il faisait grand jour. Le chevalier commença par faire régler sa troupe par Assignac et Laparède, promus aux fonctions d’officiers payeurs généraux. Il y ajouta même une gratification supplémentaire, ce qui lui valut des hourras qui menaçaient de se prolonger outre mesure ; mais Gaëtan, qui avait hâte de délivrer Henry de son masque de fer, se hâta de les interrompre d’un geste énergique et d’engager ses mousquetaires d’occasion à rallier Cannes dans le plus bref délai.
Ceux-ci ne se le firent pas dire deux fois, et, commandés par Assignac et Laparède, qui étaient chargés de récupérer leurs costumes et leurs armes, ils piquèrent des deux et s’en furent dans une sorte de galop d’allégresse.
Demeuré seul avec Henry,
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