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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire
Autoren: Claude Izner
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remise louée à M. Baudoin l’année précédente. Aménagée en laboratoire photographique, c’était désormais son domaine privé. Il usa une dizaine d’allumettes afin de dégripper le cadenas qui en interdisait l’accès. Il faisait froid à l’intérieur. Il se hâta d’enflammer des bûchettes de ligots dans la gueule de la salamandre, ajouta une pelletée de têtes-de-moineau et attendit que l’atmosphère se réchauffe.
    Au-dessus de la paillasse d’un évier pendaient quelques épreuves extraites la veille du bain fixateur : Alice assise dans sa chaise haute, barbouillée de bouillie ; Tasha, en jupon, un pinceau entre les dents, désignant d’un geste auguste le portrait de Djina ; Alice, hilare, tandis que Kochka, les oreilles aplaties, s’efforçait de se soustraire à son étreinte.
    Il diminua le tirage de la salamandre et se colleta avec le cadenas qui renâclait à s’enclencher.
    Harnaché d’une redingote, de gants, d’un chapeau, d’un cache-nez, il hésitait.
    « Emprunter ma bicyclette ? Gare aux gamelles, un omnibus fera l’affaire. Non ! Un fiacre. »
    Il chemina sur des œufs en direction du boulevard de Clichy. Il détestait l’hiver mais ressentait de l’allégresse à emplir ses poumons du souffle glacé de la capitale. Paris était sien.
    En dépit de l’attachement qui le liait à ses femmes, un désir d’échappée le titillait. Fuir une journée le giron familial justifiait le plaisir de le retrouver. Être seul, régler ses comptes avec lui-même, tutoyer le Victor Legris tapi sous l’époux et le père. Respirer. Réfléchir.
     
    — Quel froid de canard ! grogna Joseph en s’escrimant contre un pantalon qui refusait de se laisser enfiler.
    Le mot canard lui remit en mémoire le feuilleton qu’il venait de livrer au Passe-partout après des mois de labeur : Le Canard démoniaque , son meilleur roman, au dire du rédacteur en chef, Antonin Clusel, animé d’un unique objectif : doubler les ventes de sa feuille de chou.
    « Il n’a encore rien vu ! Je me surpasserai, nom d’un glockenspiel fêlé ! »
    Il entrebâilla précautionneusement la porte de la chambre des enfants. Daphné dormait, le pouce vissé aux lèvres, le bébé Arthur ronflait, un tuyau encrassé.
    « Pourvu qu’il ne s’éveille pas ! S’il braille, c’est recta, Daphné escaladera son lit à barreaux et s’accrochera à mes basques pour me protéger. »
    La petite était la proie de cette lubie depuis que sa grand-mère lui avait énuméré les dangers de la capitale avec ses fiacres, ses voitures de livraison, ses tramways, ses chevaux, ses laitiers fous de vitesse, ses vélocipèdes, ses omnibus qui ignoraient les piétons, sans omettre les voleurs, les escrocs et tout l’assortiment de la basse pègre auxquels son père se confrontait chaque jour que Dieu fait.
    « Il ne manquait que ça, débiter ces calembredaines à une gamine qui se prend pour une justicière parce qu’on a eu la brillante idée de lui lire L’Affaire Lerouge . L’Affaire Lerouge à une petiote de trois ans et demi ! Le pire, c’est qu’elle a tout compris. Ah, elle a réussi son coup, maman ! »
    Mais comment en vouloir à Euphrosine ? Sous sa physionomie bourrue, elle était si fière de son flandrin de fiston, l’émule de Monsieur Lecoq . Elle se dévouait corps et âme à sa progéniture, en priorité à Arthur, le dernier venu, un sacré gaillard de sept mois, doté d’un tempérament rebelle.
    « Son grand-père Gabin modèle réduit, la moustache en moins », répétait-elle à l’envi.
    Zélée Euphrosine, qui s’échinait à apprêter des repas végétariens pour satisfaire les caprices alimentaires de sa belle-fille Iris !
    « Ma pauvre maman, c’est vrai que tu la portes, ta croix. Et moi, je te supporte ! »
    Il fila dans la cuisine où il dénicha au fond du garde-manger un quart de brie plus dur qu’une pierre. Quant à la baguette, en cas de nécessité, elle aurait pu servir d’arme offensive. Heureusement, des pommes fraîchement peintes en vermillon s’alignaient sur la crédence, il en croqua deux à la suite et entrouvrit la fenêtre pour recracher les pépins dans la cour. Un merle peu farouche se percha sur une branche du tilleul puis s’aventura jusqu’à la croisée.
    — C’est juste, pourquoi qu’t’aurais rien, toi ? Les volatiles claquent du bec autant que les humains quand le thermomètre est en chute libre, eh ben voilà du pain
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