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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire
Autoren: Claude Izner
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Lucas Le Flohic émirent des soupirs résignés, cadenassèrent leurs couvercles et se séparèrent.
    Le spécialiste de la chasse embouqua la tortueuse rue du Bac où il aimait flâner entre chien et loup, quand les commerçants illuminaient leurs boutiques. La vitrine d’un antiquaire l’attirait plus que les autres. S’il persistait à suivre la voie qu’il avait récemment empruntée, nul doute qu’il ne réussît un jour prochain à s’offrir cette magnifique armoire de palissandre dont il rêvait. Quand il reprit sa route, il ne s’aperçut pas que des souliers bruns lui emboîtaient le pas.
    Il avait habilement abusé cet olibrius de Fulbert Bottier ! S’il se figurait qu’il allait le contenter, il se faisait des illusions. Une semaine d’absence, et, au retour, il prétendrait avoir oublié sa promesse. L’église Saint-Thomas-d’Aquin lui fut aussi indifférente que d’habitude. Il tourna sur la gauche et accosta le boulevard Saint-Germain, où piétinaient les chevaux des omnibus, des breaks et des voitures qui se croisaient au milieu d’une foule turbulente. De hauts immeubles exhibaient des magasins luxueux devant lesquels s’alignaient des kiosques aux flancs bariolés de réclames. Les terrasses des cafés n’avaient séduit que quelques hommes en pelisse de fourrure, attablés autour de vermouths.
    Une ondée, eau mêlée de neige fondue, zébra les halos des réverbères. Le boulevard rutilait de lumières. Des bougeoirs, des lampes à pétrole ou à gaz et quelques rares ampoules électriques étincelaient aux fenêtres. Un tramway balaya de sa carcasse la chaussée humide, un œil rouge se braqua un instant sur le bouquiniste. Georges Moizan retroussa sa moustache en lorgnant une femme pressée de rentrer chez elle et s’engagea rue de Rennes.
    Près d’une maison formant l’angle du boulevard Saint-Germain se dressait un portail monumental surmonté d’un énorme dragon de bronze, ultime vestige d’un hôtel construit naguère vis-à-vis la rue Sainte-Marguerite, devenue rue Gozlin. La sainte était en effet réputée avoir maté un monstre ailé avide de la dévorer. Le portail donnait accès à un passage encastré entre une épicerie et un marchand de vin. Il aboutissait à une cour cernée de bâtisses décrépites ornées de sculptures médiévales où la neige, qui refusait de fondre, dessinait des guirlandes. Bien que ce coin eût échappé à la percée de la rue de Rennes, la circulation y demeurait insoluble, aussi détonnait-il auprès des immeubles massifs équipés du confort moderne.
    C’était le paradis des chaudronniers, des serruriers et des rétameurs. Leurs échoppes, précédées de pavés moussus, avoisinaient des escaliers sombres festonnés de pots de fleurs desséchées par le gel. Sous une niche protégeant une image de la Vierge, un groupe d’aïeules bardées de tricots ravaudaient des chaussettes. L’une d’elles proposa à Moizan une botte de céleri qu’il repoussa de la paume. La pluie redoublait, les femmes s’égaillèrent. Resté seul, Georges Moizan marcha jusqu’à une masure ventrue portant un écriteau :
    On loge les bonnes et les ouvrières au numéro 3.
    Le rez-de-chaussée était dévolu à un des nombreux ferronniers du quartier, descendants de ceux chez qui les combattants de 1830 s’étaient ravitaillés en piques et barres de fer utilisées pour renverser la royauté. L’endroit était désert, noyé sous un rideau mouvant. Cette pluie hâtait la venue de la nuit, étouffait les rumeurs de la ville.
    Moizan n’avait qu’une dizaine de mètres à parcourir lorsqu’il entendit un crissement derrière lui. Il s’immobilisa, l’oreille aux aguets. Il allait pénétrer dans un vestibule quand le crissement se renouvela. Il fit volte-face et distingua une ombre qui rampait le long de la cour. Cette apparition difforme le glaça.
    — Y a quelqu’un ?
    Il perçut un bruit de pas.
    — Ah, c’est vous ! s’exclama-t-il. Bon Dieu, vous m’avez effrayé !
    — Oui, c’est moi. Il te l’a cédé ?
    — Mais de quoi s’agit-il ?
    — Tu le sais pertinemment, mon bonhomme. Il te l’a cédé, c’était ton fournisseur, à présent il a perdu le goût du pain.
    — Je ne comprends pas ! Qui, il ?
    — Larcher Sosthène. Le rat de la rue de la Grange-Batelière, ça ne te dit rien ?
    — Larcher a calanché ? C’est une blague !
    — Tu ne lis jamais les journaux ? Quand je pense qu’il s’en est
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