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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire
Autoren: Claude Izner
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Moizan.
    — Qu’est-ce qu’elle vient fabriquer ici, celle-là ! s’exclama Ferdinand Pitel.
    — Qui ?
    Fulbert Bottier souleva le rideau. Sur le trottoir opposé, une femme blonde conversait avec Georges Moizan.
    — On dirait une odalisque échappée d’un tableau de M. Ingres ou de M. Delacroix, estima-t-il.
    — Hé ! Un peu de respect ! Il s’agit de ma tante Adeline !
    — Ben quoi, Ingres et Delacroix sont de grands artistes ! Elle est férue de chasse, votre tante ?
    — Ça m’étonnerait. Rabaissez ce rideau, je ne veux pas qu’elle me voie. Je vous mets en garde, m’sieu Fulbert, elle n’est pas très intéressée par les hommes. D’ailleurs, la plupart des femmes sont frigides.
    — Vous avez une drôle d’opinion du sexe faible ! Je suppose que vous savez tellement bien y faire qu’elles doivent toutes vous tomber dans les bras ! Allez, détendez-vous, je vous taquine, mais enfin tout de même, sans les femmes, qu’y aurait-il pour l’homme ici-bas ? Rien. Et quelle considération avez-vous pour votre mère ?… Elle s’en va, votre tante, vous êtes délivré. Merde ! Moizan a étrenné, alors que moi, si ça continue, je vais embrasser le cul de la vieille !
    — Oh, m’sieu Bottier, vous devriez avoir honte ! s’indigna la tenancière.
    — Y pas offense, madame Aglaé, c’est une expression de métier qui signifie qu’on n’encaisse pas un fifrelin ! Qu’est-ce que je prédisais ? Il est odieux, ce Moizan, marquer au vu et au su de tout le monde ses exploits dans son calepin comme si on lui avait rempli sa bourse de louis d’or ! Les ennuis n’arrivent jamais seuls, visez-moi la Boulangère !
    — Ah oui, Philomène Lacarelle. Celle-là, elle a raté sa carrière, elle aurait dû pousser la romance à la Scala ou au Ba-Ta-Clan  ! commenta la tenancière.
    — Une enquiquineuse. Elle nous rebat les oreilles de son En revenant de la revue . Elle est entichée du général Boulanger, s’il n’était pas mort elle aurait épousé son cheval ! N’empêche, c’est une cliente qui m’a parfois sauvé la journée, concéda Fulbert. Mince, pincez-moi, c’est un cauchemar, elle a acheté un livre à Moizan, et le voilà qui se pavane ! Même pas une halte à mes boîtes, elle a filé. Oh, au secours ! Il traverse !
    Georges Moizan entra, ôta son chapeau à plumes en adressant un sourire enjôleur à Mme Aglaé et se rua sur son voisin.
    — Votre désertion m’a été profitable, j’ai empoché plusieurs pavés 1 à vingt sous, je suis verni, mais transi, et je dois satisfaire un besoin naturel. Ça vous fatiguerait de retourner à vos boîtes ?
    Il s’esquiva au fond du café.
    — Un de ces quatre, je lui tordrai le cou, marmonna Fulbert en se levant.
    — Je vous accompagne, je vais humer le vent de la liberté, dit Ferdinand Pitel.
    — Désolé, mais vous l’inhalerez sans moi, je boucle, puisque la clientèle a décidé de me bêcher.
    — Mais il n’est que deux heures…
    — Raison de plus pour ne pas moisir ici, j’ai un lot à trier dans ma remise.
    Au moment où la porte tintait, Georges Moizan revint.
    — Il en a une bobine, le Fulbert, serait-il par hasard jaloux de ma bonne fortune ?
    Le cordonnier haussa les épaules, paya son écot et s’en alla sans un au revoir.
     
    Un soir brumeux enveloppait les quais où se glissait en silence le cortège des clochards guignant les meilleurs endroits sous les ponts délaissés par les cardeuses. Quelques couples musardaient encore, ainsi qu’un coiffeur pour chiens retardé par la tonte d’un caniche. Les bouquinistes fermaient. Lucas Le Flohic salua Gaétan Larue qui rentrait chez lui, place du Caire, avant de regagner lui-même son modeste logis de Montmartre, près du dépôt des omnibus.
    — Vous qui êtes en première ligne, vous ne sauriez pas si cette histoire de déménagement de nos boîtes sur la rive droite est toujours d’actualité ? lui demanda Georges Moizan.
    — Je ne suis pas dans les petits papiers des entrepreneurs, moi. Ce dont je suis informé, c’est que les arbres de la Cour des comptes sont mis en vente. Y en a cent quarante-neuf, une trentaine de mètres cubes de bois. Ça en fait du pognon ! Les travaux vont être rondement menés, la gare qui va s’élever sur ces ruines doit être achevée pour l’Expo universelle de 1900.
    Il abandonna les deux bouquinistes à leur incertitude et se fondit dans le brouillard.
    Georges Moizan et
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