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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire
Autoren: Claude Izner
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prière. Il allait le récupérer et prétendre l’avoir rangé au mauvais endroit.
    — Ne vous tracassez pas, Joseph. S’il a été dérobé, le voleur sera pressé de s’en défaire. Cela vous contrarie de vous passer de moi jusqu’à midi ? Je vais alerter notre confrère de la rue de Pontoise.
    — Le spécialiste du culinaire ? Mais enfin, voyons, minute, je vais le dégoter ce bouquin, il est vraisemblable qu’on l’a déplacé ! Ou alors le pickpocket est un collectionneur et vous pourrez toujours courir, vous ne remettrez jamais la main dessus !
    — Joseph, je ne cherche pas à faire l’école buissonnière mais à éviter les récriminations de Kenji. Vous sentez-vous assez solide pour assumer ma courte absence ?
    1 - Genre de marchandise invendable, dans l’argot des bouquinistes.

    2 - Le prince de Sagan (Charles Boson de Talleyrand-Périgord, 1832-1910) fut un des arbitres de l’élégance masculine.

    3 - Georges Charpentier (1846-1905), éditeur des naturalistes : Zola, Flaubert, Maupassant, Daudet, les frères Goncourt, Huysmans, etc.

    4 - Elle m’agace, cette nigaude, elle est bête comme une oie, en langue limousine.

    5 - Chanson du XV e  siècle.

Chapitre III
    Dimanche 9 janvier
     
    — Bonjour, monsieur Legris.
    — Bonjour, Alphonse. Vous déménagez ?
    Un grand homme maigre, la moustache en girandole, le menton glabre, sanglé d’un costume de serge à rayures surveillait le chargement d’un haquet. Mme Ballu, la concierge du 18 bis , revêtue d’une souquenille, chaussée de caoutchoucs, déboula de la cour et harponna Victor.
    — Oui, m’sieu Legris, mon cousin Alphonse nous quitte et ça n’est pas dommage ! On voit bien que ce n’est pas ce chichiteux de quarante ans qui se tape la lessive et le repassage ! Je vais profiter de mon temps libre. Cette asperge retourne loger dans la pension de famille de la veuve Simonet, rue Violet. Un de ses locataires, M. Findorge, lui a déniché un emploi où il ne risque pas de s’estropier la citrouille. Chic ! Je vais réoccuper la mansarde du cinquième que vous m’avez si gentiment allouée. Dis donc, toi, mon poulot, en attendant de confectionner des cocottes en papier, rentre les poubelles, et qu’ça saute !
    Alphonse Ballu obéit en maugréant à l’attention de Victor :
    — Ce n’est pas une femme, c’est un adjudant-chef !
     
    Victor dépassa l’école de Beaux-Arts et sourit à la statue de Voltaire, drapé d’une cape à l’espagnole, à moins que ce ne fût une robe de chambre ou une toge romaine.
    — Salut, m’sieu Legris ! brama une voix de basson.
    De l’autre côté de la place de l’Institut, il reconnut une femme de forte corpulence, noyée sous de multiples tricots et jupes, une masse de cheveux jaunes ramenée sur le sommet du crâne. Angélique Frouin rapetassait les matelas, non loin du pont du Carrousel. Elle élevait ses trois enfants dans un minuscule rez-de-chaussée de la rue des Irlandais. Toujours avenante, elle compensait son physique de lutteuse par une serviabilité à toute épreuve. Victor l’observa pousser son châssis équipé de deux roues qui lui servait à transporter son métier à carder. Elle s’arrêta pour un brin de causette à l’étalage d’un marchand de monnaies anciennes à remuer au tas et, subitement, Victor fut la proie d’une illumination : il allait tirer le portrait des rivagiers, un sujet digne d’offrir une importance égale à celui des artistes forains photographiés l’année dernière. Il y avait plus de cent cinquante bouquinistes, dont la plupart peuplaient la rive gauche de la Seine, du quai Saint-Bernard au quai d’Orsay, sans compter le lot des petits artisans établis sur les berges. Bien qu’il refusât de l’admettre, ce projet présentait l’avantage d’orienter ses propres créations vers deux thèmes chers à Tasha : rêver et inspirer le rêve.
     
    Le quai Voltaire s’animait. Emmitouflée dans une triple épaisseur de châles au crochet, Mme Séverine Beaumont, une fringante sexagénaire, aussi anguleuse qu’une bique, surgit sans qu’on devinât de quel chapeau on l’avait délogée. Ses mains étaient gantées de mitaines afin de tricoter sans difficulté une interminable écharpe. Assise sur un pliant, les pelotes de laine calées sur ses genoux, elle évaluait les flâneurs, espérant qu’ils se laisseraient tenter par ses Clé des songes , ses Langage des fleurs , ses Secrétaire des amants ,
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