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Les porteuses d'espoir

Les porteuses d'espoir

Titel: Les porteuses d'espoir
Autoren: Anne Tremblay
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sur son lit, ne couvrant son corps déjà si amaigri que d’un drap de
     coton blanc. Plus jamais elle ne se relèverait. Plus jamais la nourriture ne
     franchirait ses lèvres,elle se refuserait même à boire. Les yeux
     fixés au plafond, elle s’était concentrée sur sa respiration. Les heures avaient
     passé et elle était devenue tout engourdie. Enfin, elle savait ce que le
     Seigneur attendait d’elle. Elle ne craignait pas le jeûne. Mais la soif, la soif
     devenait de plus en plus intenable. Refuser d’avaler une seule goutte d’eau se
     révélait un combat, une souffrance indescriptible. Satan venait, la nuit, la
     narguer, lui faire entendre le bruit d’un verre d’eau que l’on remplit, le chant
     d’une fontaine, le rire d’un ruisseau cristallin. Le malin la piquait de sa
     fourche, partout en son corps. Elle n’abdiquera pas. Cette fois, elle ne trahira
     pas son Seigneur. Les religieuses avaient beau s’activer autour d’elle, faire
     venir un médecin, tenter de la relever, Léonie n’allait pas broncher. Elle
     n’était déjà plus vraiment dans son corps. Elle allait enfin réussir à expier
     ses fautes. Il n’y en avait plus que pour quelques heures, elle le sentait. La
     délivrance approchait. Avant de pousser son dernier râle, des plaies s’ouvriront
     dans le creux de ses mains, sur le dessus de ses pieds, à son flanc droit. Elle
     tachera de sang son linceul. Elle ne cillera pas. Peut-être gémira-t-elle, mais
     elle résistera. Enfin, son destin était clair. Sinon, combien d’autres vies
     seraient fauchées par sa faute ? Son martyre allait racheter les péchés du monde.
     Bientôt, il n’y en avait plus pour longtemps, déjà son corps refroidissait, elle
     sentait l’étau glacé autour de son cœur qui battait si faiblement… Les
     religieuses pouvaient la secouer, tenter de l’abreuver, elle était légère… Elle
     n’était plus humaine. Un sourire illumina son visage, ses yeux grands ouverts
     virent enfin le visage de Jésus, souriant, satisfait de son ultime sacrifice.
     Enfin, elle était pardonnée.

    Les poules rassasiées, Yvette n’eut pas envie de retourner immédiatement à la
     maison. Tant pis pour l’école ! Ils seraient encore enretard…
     Leur maîtresse ne dirait rien. C’était un des privilèges qui viennent avec ceux
     dont le nom est lié à un drame. Au village, on regardait les membres de la
     famille Rousseau comme des curiosités. Ils n’étaient plus des habitants
     ordinaires. Ils étaient la parenté de ceux qui sont morts… Yvette détestait ces
     silences sur leur passage, les regards de pitié qu’on leur décochait. Dans la
     classe, elle ne pouvait s’empêcher de regarder les bancs vides qui avaient été
     occupés avant par une cousine, compagne de fous rires, confidente de ses petites
     peines, et par un cousin qui rêvassait plus qu’il étudiait… Baveux sur les
     talons, Yvette courut jusqu’au fond du champ. Quand cesserait-elle d’avoir le
     cœur si à l’envers ? Elle n’avait plus d’amie, elle était seule. Elle donnerait
     tout pour ressentir à nouveau la sécurité, l’insouciance. Essoufflée, elle se
     laissa tomber sur l’herbe. Elle prit son chien par le cou et se mit à pleurer.
     Baveux ne broncha pas. Avec patience, l’animal se laissa étouffer, indifférent à
     se faire mouiller la fourrure. Ce n’était pas la première fois que sa maîtresse
     s’adonnait à cet exercice matinal. Depuis le printemps, c’était même régulier.
     Les hoquets allaient s’espacer, l’étreinte se relâcher. Elle reniflerait un bon
     coup et ils repartiraient vers la maison et c’est lui qui gagnerait la course.
     Comme récompense, la fillette s’arrêterait à l’étable et lui donnerait un bel
     os.

    Yvette poussa la porte de la grange. Elle prit quelques secondes pour
     s’habituer à la pénombre du bâtiment. Elle s’avança vers la chaudière dans
     laquelle on déposait des os et des restes de table pour nourrir le chien.
     Soudain, le cœur lui manqua. Là, devant elle, une ombre se balançait au-dessous
     d’une poutre...

    — Ah ! je pense que je vais aller pêcher un peu à matin, si vous
     avez pas besoin de moé, mon oncle.
    — Commence par aller déjeuner, répondit-il un peu sèchement.
    Il n’appréciait pas cette propension à se sauver de l’ouvrage.
    François-Xavier dirigea l’attelage doucement vers l’arrière de la ferme.
    — Pis tu pourras
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