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Les Piliers de la Terre

Les Piliers de la Terre

Titel: Les Piliers de la Terre
Autoren: Ken Follett
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la population même de la chrétienté ne suffiraient
pas à ramener Thomas à la vie.
    Agenouillé
sur les dalles de la cathédrale, il revit les hommes qui avaient fait irruption
chez lui pour massacrer sa mère et son père, cinquante-six ans auparavant.
L’émotion qui étreignait alors cet enfant, ce n’était pas la peur ni même le
chagrin. C’était la rage. Impuissant à arrêter les énormes gaillards assoiffés
de sang, il avait conçu la formidable ambition de mettre aux fers ce genre
d’hommes d’épée, d’émousser leurs armes, d’estropier leurs destriers et de les
soumettre à une autre autorité, plus puissante que le règne de la violence.
L’instant d’après, alors que les cadavres de ses parents gisaient sur le sol,
l’abbé Peter était venu lui montrer la voie. Désarmé et sans défense, l’abbé
avait aussitôt arrêté l’effusion de sang, sans rien d’autre que l’autorité de
son Eglise et la force de sa bonté. Cette scène avait inspiré Philip toute sa
vie.
    Jusqu’à
maintenant, il avait cru que lui et les gens comme lui étaient les vainqueurs.
Ils avaient obtenu au cours du dernier demi-siècle quelques victoires notables.
Mais aujourd’hui, à la fin de sa vie, ses ennemis lui prouvaient que rien
n’avait changé. Ses triomphes n’avaient été que temporaires, ses progrès
illusoires. Il avait remporté quelques batailles, mais la cause était
définitivement perdue. Des hommes comme ceux qui avaient massacré sa mère et
son père venaient d’assassiner un archevêque dans une cathédrale, comme pour
prouver, au-delà de tout doute possible, qu’il n’existait aucune autorité plus
forte que la tyrannie d’un homme armé d’une épée.
    Philip ne
pensait pas qu’on oserait tuer l’archevêque Thomas, surtout en pleine église,
mais il n’avait jamais pensé non plus qu’on oserait tuer son père. Les mêmes
hommes, assoiffés de sang, bardés de fer, lui avaient dans les deux cas
démontré la sinistre vérité. Aujourd’hui, à soixante-deux ans, devant le corps
mutilé de Thomas Becket, il était possédé de la même fureur puérile,
irrésistible et irraisonnée d’un garçon de six ans devant le cadavre de son
père.
    Il se
releva. Bouleversés, les gens commençaient à se rassembler autour du cadavre de
l’archevêque. Prêtres, moines et citoyens de la ville approchaient lentement,
abasourdis et terrifiés. Philip sentit que derrière leurs expressions d’horreur
brûlait une rage comparable à la sienne. Certains murmuraient des prières ou
gémissaient. Une femme se pencha rapidement pour toucher le corps, à la manière
d’un porte-bonheur. Plusieurs autres l’imitèrent. Puis Philip vit la première
femme recueillir furtivement un peu de sang du mort, comme si Thomas était un
martyr.
    Le visage
ruisselant de larmes, le chambellan de l’archevêque, Osbert, prit un couteau,
tailla une bande dans sa propre chemise, puis se pencha auprès du corps et
maladroitement replaça le haut du crâne de Thomas sur sa tête, dans un
pathétique effort pour redonner un peu de dignité à la personne horriblement
mutilée de l’archevêque.
    Des moines
apportèrent une civière. Ils y déposèrent Thomas avec douceur. De nombreuses
mains se tendirent pour les aider. Philip put voir que le beau visage de
l’archevêque était paisible, le seul signe de violence étant un mince filet de
sang qui le balafrait, de la tempe droite jusqu’à la joue gauche.
    Comme on
soulevait le brancard, Philip ramassa le bout d’épée brisée qui avait tué
Thomas.
    Les gens
suivirent la civière, entraînés par une force invisible. Philip se mêla à la
foule, en proie à ce bizarre élan qui les empoignait tous. Le cortège traversa
le chœur et on déposa doucement la civière sur le sol, devant le maître autel.
Tandis que les prières s’élevaient spontanément, un prêtre apporta un tissu
propre pour panser la tête d’un nouveau bandage puis la recouvrir d’une
barrette neuve.
    Un moine
s’approcha et ôta au mort son manteau noir souillé de sang. Il ne semblait
savoir que faire du vêtement ensanglanté et, comme il s’apprêtait à le jeter de
côté, un homme s’avança aussitôt et le prit des mains, tel un objet précieux.
Dans l’esprit de Philip se précisa la pensée qu’on traitait déjà Thomas comme
un martyr : on recueillait son sang et ses vêtements, comme s’ils
possédaient les pouvoirs divins des reliques d’un saint. Philip
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