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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus
Autoren: Christian Bernadac
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frémis de bonheur, car alors, ils ne reviendront plus…
    Et le jour s’est levé sur le camp abandonné. Plus d’électricité, plus d’eau, plus de pain… mais, oh miracle ! plus de monstres. Mourir sans eux sera doux.
    Les humains qui restent sont livrés à eux-mêmes. Comment va-t-on s’organiser pour lutter contre la faim et contre le froid ? Mon cœur déborde d’une joie merveilleuse. Pour la première fois, je crois vraiment la fin de la guerre proche. Pour nous, aucune certitude. Notre état de faiblesse effrayant, les épreuves qui nous restent à subir, nous interdisent trop d’espoir. Rien ne prouve que nous arriverons au bout. En tout cas, c’est la lutte franche maintenant. Tenir ou mourir. Le spectre du lâche assassinat est écarté.
    Libres ! Nous nous considérons les unes les autres avec stupeur, en essayant de réaliser ce que sera cette extraordinaire liberté recouvrée dans ce désert. Nous sommes environ huit cents femmes mourantes, trois ou quatre blocks de deux cents femmes. Tout le reste du camp est vide. Ils les ont toutes emmenées… Les kommandos, les blocks de repos, les autres Reviers. Bien entendu, plus de blockowas. Redoutant le juste châtiment, elles sont parties avec eux et maintenant qu’elles ne peuvent plus servir, ils les tueront sûrement. Tout est bien.
    Il faut évidemment un chef de block, il y a si peu de Françaises… Ce sera donc encore une Polonaise stupide et criarde, mais le régime du knout est terminé.
    Toutes les femmes valides de chaque block se précipitent aux cuisines et aux chambres de ravitaillement. Elles reviennent les bras chargés de pain, sanglantes de la lutte qu’il a fallu soutenir ; elles se précipitent sur leurs coyas, cachent leur pain et restent là, grondantes, encore prêtes à la bataille, semblables à des chiennes affamées à qui on disputerait un os…
    Il n’y a plus rien aux cuisines maintenant. Ce pain, c’est leur dernière chance. Il faudra le faire durer. Elles ont aussi des farines de toutes sortes. Si on trouve de l’eau et du bois pour les faire cuire, tout ira bien pour elles… Je dis pour elles, car pour nous, les alitées, les impotentes, il ne nous reste plus qu’à mourir de faim.
    Quelques infirmières sont restées auprès de nous parmi celles qui n’ont rien de trop grave à se reprocher, elles interviennent auprès du chef de block et les « organisatrices » se voient dépossédées, en partie, de leurs provisions au profit de la communauté. Ce qui était considérable pour quelques-unes devient infime réparti sur la totalité. Nous avons droit à une mince tranche de pain (environ trente grammes) et à quatre cuillerées de soupe de semoule ou autre farine. À deux cents mètres du block, une espèce de puits a été découvert dans la neige, l’eau s’y est accumulée ; tour à tour les femmes vont y puiser. Je suis considérée, au bout de quelques jours, comme une des femmes les mieux portantes du block, je vais tous les matins jusqu’au puits. Je peux un peu marcher maintenant et j’ai très vite voulu respirer l’air « libre ». J’ai fait quelques pas dans la neige avec des sabots que l’on m’a prêtés. Ma première vision du camp abandonné a été ces cadavres de malheureuses abattues avant même la sortie du camp. C’était cela, les coups de feu… Elles gisent face contre terre, leurs pauvres mains crispées sur une gamelle ou une couverture qu’elles voulaient essayer d’emporter. J’ai peur, peur de reconnaître mes amies, mais elles sont déjà défigurées, souvent par le coup de feu tiré à bout portant.
    Je m’agenouille auprès de l’une d’elles et la déshabille. Elle est bien vêtue ; une culotte de golf en lainage, un pull-over usé, des chaussures. Je retire mes haillons, revêts tout cela. Les chaussures sont naturellement trop petites pour mes pieds déformés. Tant pis !… Et me voilà habillée. C’est dans ce costume que j’ai revu la France.
    Cette corvée d’eau tous les matins est vraiment très dure pour une infirme comme moi. Le seau est lourd. La neige recouverte de verglas est si glissante que je tombe dix fois pour un seul voyage. L’eau est jaune, croupie, trouble. Tous les soirs, je fais le serment avant de m’endormir, de ne plus en boire le lendemain. Ce serait trop stupide de mourir de la typhoïde comme tant de mes amies au moment de toucher au but. D’ailleurs, cette eau accentue ma diarrhée. Beaucoup de femmes sont
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