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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus
Autoren: Christian Bernadac
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cette angoisse terrible qui m’étreint, quel est ce bruit ?… des cris, des coups de feu… Être sur ce grabat, ne pouvoir que subir… et c’est alors que se produit l’effroyable « Entraiten » qui nous glace de terreur.
    « — Yudes Entraiten » (Juifs dehors !)
    La blockowa nous explique que les S.S. sont revenus et évacuent le camp en masse. Il faut partir avec eux, partir sans tarder, sans hésiter. Que celles qui peuvent encore se traîner, qui ont encore un souffle de vie partent ; pour les autres c’est la mort certaine. Les S.S., revolver au poing, font le tour du block à la lueur de leurs lampes électriques. Ils hurlent que chaque femme qui restera sur son grabat sera abattue.
    Dehors, les files des malheureuses prêtes au départ s’allongent, les cris s’amplifient. Une nuit totale. Une nuit dense. À la lueur des bougies, je vois les femmes se lever, mettre sur leurs épaules une couverture arrachée aux paillasses et sortir. Sortir ? Il fait – 28°. Nous sommes toutes mourantes. Je n’ai pas bougé. Je serre toujours dans mes mains les vêtements, sous la couverture. J’essaye désespérément de mettre de l’ordre dans l’afflux des pensées qui tourbillonnent dans ma tête… parce que cette fois c’est l’heure de mourir. Je le savais d’ailleurs. En moi, il n’y a aucune surprise et c’est même comme cela que je me suis toujours représenté la FIN. Une nuit opaque, des cris, une dernière horreur qui s’ajoute aux autres, qui les achève. C’est normal, cela devait se passer ainsi. Je suis brûlante, glacée. Je ne sais plus. Je regarde mes compagnes. Elles sont comme des statues. La blockowa continue ses imprécations. Il faut partir, n’avons-nous donc pas entendu les S.S. De gré ou de force, on allait nous descendre des coyas. La porte du block est grande ouverte et je vois la neige qui éclaire la nuit.
    Le Revier s’est vidé partiellement. Nombreuses sont les femmes, plus malades encore que moi, qui sont déjà rangées sur la route. Faut-il tenter un dernier effort pour n’être pas abattue tout de suite ? J’enfile la culotte, je lace les souliers. Une Française est partie. Deux. Combien de mètres feront-elles dans la neige ? Que peuvent-elles espérer en suivant les bourreaux ? Vais-je les imiter ? D’une main fébrile, je me déchausse, je remonte sur la tête mon unique couverture. J’attends… J’attends quoi ? La mort sans doute. La mort clémente qui mettra fin aux soubresauts de cette agonie qui dure depuis un an, et quelle agonie… sans morphine… le malade était résistant… un assassinat durant lequel l’assassin, sans se lasser pendant un an, rouvrirait les blessures avec le couteau du meurtre. Cette fois, c’est fini et l’assassin sentant venir le châtiment va achever sa victime. Qu’il fasse vite ! Vite ! Le film de mon passé se déroule avec une rapidité inouïe. Comme je regrette déjà la VIE. Comme je voudrais souffrir encore si c’était possible pour la reconquérir. Mais c’est trop tard.
    Les cris diminuent. Serait-ce une trêve ? Tout s’éloigne. Partiraient-ils cette fois, se contentant des malheureuses qui se sont jetées dans le piège et dont j’ai failli être à une seconde près ? En tout cas ce répit va nous servir à reprendre notre sang-froid. Quelle heure peut-il être ? Comment le savoir ? La nuit tombe à 4 heures et d’ici que le jour se lève que se sera-t-il passé ?
    Le froid est plus cruel que jamais, chaque mouvement engouffre sous la couverture l’air glacé. Des cris encore. Des Polonaises se précipitent sur les coyas et descendent les malades de force, les Françaises surtout, et soudain je comprends, après le départ massif, il restera forcément dans le camp désert quelques femmes oubliées, elles veulent être celles-là et nous livrent. Je remonte un peu plus haut la couverture et je prie, je prie.
    « — Mon Dieu, un miracle, faites qu’ils partent, faites qu’ils me laissent, si c’est encore possible, faites que je vive… »
    La nuit continue à s’écouler. Le calme. Quelqu’un a même fermé la porte du block. On ne voit plus la neige et on a l’impression rassurante que cette porte de bois nous protège. Chaque femme dans sa coya retient son souffle, guette les bruits extérieurs. Le silence règne, absolu, merveilleux, coupé par la canonnade qui est proche, si proche. À l’idée que, peut-être, demain le jour se lèvera sans eux, je
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