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Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle
Autoren: Joseph Kessel
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pression, la torsion, le pétrissement, le glissement propres à
corriger telle ou telle défaillance et de l’exécuter avec l’efficacité la plus
grande, il fallait un apprentissage long et pénible. Et peu d’élèves y
pouvaient parvenir. Mais le secret essentiel de l’art, c’était la faculté de
toucher du bout des doigts l’essence de la maladie, de mesurer son intensité et
savoir le centre vital d’où elle rayonnait.
    L’éducation la plus poussée, la plus
raffinée de l’épiderme ne suffisait point. Pour rendre les minuscules antennes
tactiles capables de sentir tous les nerfs de l’organisme et de répondre pour
ainsi dire à leur appel, le praticien devait, en vérité, sortir de son propre
corps et pénétrer dans celui du patient. Ce pouvoir, seules le permettaient les
méthodes millénaires des grandes initiations religieuses de l’Extrême-Orient,
qui, par les voies de la concentration spirituelle, des exercices respiratoires
spéciaux, et des états intérieurs tirés du Yoga, portent l’esprit et les sens à
un degré d’acuité, d’intuition inaccessibles autrement.
    Ce qui semblait naturel au docteur
Kô, voué dès l’enfance aux épreuves et aux méditations des lamas, était
terriblement ardu pour un homme d’Occident et de l’âge de Kersten. Mais il
avait une puissance de travail, de volonté très grande, et aussi, sans doute,
le don.
    Pendant trois années, il passa aux
côtés du docteur Kô chaque instant qui n’était pas indispensable aux cours de
la Faculté et aux menus métiers dont il tirait sa subsistance. Seulement alors
le docteur Kô se déclara satisfait de lui.
    Or, ayant assisté l’ancien lama dans
ses travaux, Kersten l’avait vu opérer des cures étonnantes et dont certaines
paraissaient tenir du prodige. Assurément elles se bornaient à un domaine bien
délimité. Le docteur Kô ne prétendait pas que sa thérapeutique du massage
pouvait guérir toutes les maladies. Mais son champ était si vaste (car les
nerfs jouent dans l’organisme un rôle dont Kersten aurait ignoré, sans la
médecine chinoise, et l’étendue et l’importance), qu’il pouvait combler les
désirs du praticien le plus ambitieux.
    Ces trois années, malgré la grande
pauvreté où il continuait de vivre, passèrent très vite pour Kersten. Non
seulement il suivait les leçons du docteur Kô avec une joie et une admiration
qui croissaient chaque jour, mais il s’était pris, pour son maître, d’une
amitié, d’une tendresse respectueuses qui, elles aussi, devenaient toujours
plus profondes et plus vives.
    Le lama-médecin n’avait rien d’un
ascète. Il interdisait sans doute l’usage de l’alcool et du tabac qui
émoussaient la sensibilité tactile. Mais Kersten n’avait jamais eu de goût pour
ces excitants. Par contre, le docteur Kô admettait la gourmandise. Il faisait
sa propre cuisine et invitait souvent Kersten à partager un riz et un bouillon
de poulet merveilleux. Quant aux rapports physiques avec les femmes, il les
considérait comme salutaires pour l’équilibre des nerfs.
    La gentillesse, la courtoisie, le
désintéressement, l’égalité et la force d’âme contribuaient chez lui à un doux
plaisir de vivre qui ne se démentait jamais. Et Kersten, si grand, si robuste,
se sentait comme protégé par le vieux petit Chinois qui souriait sans cesse.
    Aussi le choc qu’il reçut un matin
de l’automne 1925 fut-il très dur.
    Kersten venait d’arriver chez son
maître. Celui-ci lui dit très paisiblement :
    — Je pars demain rejoindre mon
monastère. Je dois commencer à me préparer à la mort. Je n’ai plus que huit ans
à vivre.
    Kersten balbutia :
    — Mais c’est impossible !
Mais vous ne pouvez pas faire cela… Mais comment pouvez-vous savoir !
    — De la source la plus sûre. La
date est depuis très longtemps écrite dans mon horoscope.
    Le ton et le sourire du docteur Kô
avaient leur gentillesse ordinaire, mais les yeux exprimaient une décision sans
appel.
    Alors, par l’acuité de sa peine, par
la sorte d’arrachement intérieur qu’il éprouva, au sentiment de solitude et
d’exil qui s’empara de lui, Kersten sut à quel point il était vraiment le
disciple du petit homme jaune, ridé, à la barbiche grise et rare.
    — Ma mission est accomplie,
poursuivit le docteur Kô. Je vous ai transmis ce qu’il m’était permis de vous
transmettre. Vous êtes en état de poursuivre mon travail ici. Vous prendrez
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