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Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle
Autoren: Joseph Kessel
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Il
éprouvait dans tout son corps le besoin de sommeil, de repos, mais se sentait
incapable de rester en place. Tantôt il parlait avec Masur, tantôt il allait prendre
quelque nourriture, tantôt il regardait Élisabeth Lube achever les préparatifs
de leur voyage.
    Ils devaient partir pour Stockholm
dès le lendemain, après l’entrevue avec Himmler. La vieille amie du docteur
s’acquittait de sa tâche avec l’efficacité, la dignité, qui avaient défini
toute son existence.
    Elle savait pourtant, comme Kersten
lui-même, que c’était son dernier labeur en ce lieu et qu’ils ne reverraient
plus jamais le domaine enchanté.
    La marée russe était sur le point
d’envahir la maison, les prés, les champs, les bois de Hartzwalde et ne les
rendrait pas. Cela, le docteur l’avait compris et accepté depuis longtemps.
    La seule crainte qu’il éprouvait
durant ce dernier séjour était qu’une percée imprévue des armées rouges ne le
surprît dans sa propriété comme dans un piège mortel. Car il était né en
Estonie, maintenant territoire de l’Union Soviétique. Il avait porté les armes
contre elle, en 1919, comme officier finlandais. Enfin, il avait été
officiellement le médecin de Himmler. Assurément, il avait pu sauver ainsi
beaucoup de victimes. Mais, sauf quelques initiés très rares, qui donc le
savait ?
    Le docteur allait d’une pièce à
l’autre, s’attardait devant un beau meuble ancien, un velours adouci par les
siècles, une toile de vieux maître flamand. Toutes ces richesses étaient
perdues pour lui sans retour. Il ne pourrait plus en réunir de semblables. Il
approchait de la cinquantaine : le temps des grandes récoltes était passé.
    Mais Kersten ne souffrait pas de
cette certitude. Il n’avait qu’un souhait, il ne demandait qu’un présent à la
vie : quitter définitivement l’asile de fous où il avait été enfermé
depuis cinq ans, oublier les uniformes S.S., les sbires de la Gestapo, les
crampes de Himmler, la syphilis de Hitler, les reflets, les échos des tortures,
des supplices, des déportations, des exécutions et, ayant enfin achevé la tâche
vers laquelle l’avait conduit un hasard stupéfiant, retrouver les journées et
les nuits normales, paisibles, ordonnées, laborieuses, les seules pour
lesquelles il était fait.
    Oh ! si seulement Himmler était
déjà venu et reparti. Et ensuite – le petit appartement de Stockholm avec
Irmgard, les trois garçons, Élisabeth Lube… le paradis.
    L’obscurité enveloppa Hartzwalde.
Peu à peu, dehors, se fit le silence. Les bêtes dormaient à l’écurie, à
l’étable et les volailles dans la basse-cour. Les Témoins de Jéhovah s’étaient
retirés dans les dépendances pour lire la Bible, prier, rêver aux fauteuils
d’or où siègent les saints, près du Seigneur.
    À l’intérieur de la maison, il n’y avait
qu’Élisabeth Lube, Masur et Kersten. Les heures s’étiraient, interminables. Le
docteur interrogeait sans cesse sa montre.
    La fatigue, l’attente, la conscience
de ses responsabilités avaient mis ses nerfs à vif. Pour un instant, il se
laissa aller aux pires craintes. Himmler ne viendrait pas. Il avait changé de
sentiment. Ou bien il avait été blessé, tué, par un de ces innombrables avions
alliés qui, sans cesse, dans un carrousel infernal, mitraillaient toutes les
routes, tous les carrefours. Ou bien Hitler lui avait confié une mission
imprévue, urgente. Ou encore l’avait fait arrêter. Tout était concevable quand
tout se décomposait.
    Kersten regarda Élisabeth Lube. Il
lui sembla surprendre dans l’expression de son visage un sentiment d’angoisse.
Le docteur alla tisonner le feu qui crépitait dans la grande cheminée. Puis il
s’obligea à ne penser à rien.
    Des heures passèrent encore.
    Enfin on entendit le bruit d’une
automobile qui s’arrêtait devant le perron. Kersten courut dehors.
    Himmler sortit de sa voiture, revêtu
de son plus bel uniforme et couvert de décorations. Il arrivait directement du
dîner donné pour l’anniversaire du Führer.
    Brandt et Schellenberg
l’accompagnaient. Ils avaient été retardés par les mouvements des troupes qui
encombraient le chemin et arrêtés par les avions alliés qui, en rase-mottes,
mitraillaient les colonnes et les convois. Plus d’une fois, le Reichsführer et
ses compagnons avaient dû chercher refuge dans un fossé.
    Kersten pria Schellenberg et Brandt
de pénétrer dans sa demeure, mais il retint
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