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Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle
Autoren: Joseph Kessel
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Himmler dehors. Il tenait à influer
sur ses dispositions. À présent que la rencontre avec Masur était une question
de secondes, le docteur éprouvait une inquiétude aiguë : quels seraient,
devant le délégué des Juifs, les réflexes d’un homme qui, durant toute sa vie,
n’avait montré pour eux qu’exécration et horreur et avait employé toute sa
puissance à les exterminer ?
    — Reichsführer, dit Kersten, je
vous prie, en vous souhaitant la bienvenue sous mon toit, de considérer que
M. Masur est également mon hôte. Mais ce n’est pas à ce titre surtout que
je vous demande de vous montrer amical envers lui et généreux pour ses
requêtes. Le monde entier a été indigné des traitements infligés par le III e  Reich
à ses prisonniers politiques. C’est la dernière chance que vous avez de montrer
qu’il n’en est plus ainsi et que l’Allemagne est de nouveau capable d’humanité.
    Dans la douce pénombre, au cœur d’un
beau domaine, chaque inflexion de cette voix qu’il connaissait si bien apaisait
et rassurait Himmler, après les hasards et les périls de la route.
    — Soyez sans inquiétude, dit-il
au docteur. Je viens ici pour enterrer la hache de guerre.
    Kersten fit alors entrer Himmler
dans la maison et le conduisit jusqu’à la pièce où, seul, attendait Masur. Le
docteur fit les présentations. Il dit :
    — Le Reichsführer Heinrich
Himmler… M. Norbert Masur, délégué du Congrès Juif Mondial.
    Les deux hommes s’inclinèrent
légèrement.
    — Bonjour, dit Himmler avec
amabilité. Je suis content de votre venue.
    — Je vous remercie, dit Masur
d’un ton neutre.
    Il y eut un silence. Mais il ne fut
pas assez prolongé pour établir une gêne, une tension. Schellenberg et Brandt
revinrent. Élisabeth Lube parut avec le thé, le café, les gâteaux que Kersten
avait apportés de Suède. Elle installa tout sur la table. Les cinq hommes
s’assirent.
    La familiarité des gestes,
l’insignifiance des propos, le tintement des ustensiles, tout banalisait,
humanisait la scène. Kersten et Masur se trouvaient face à face Masur buvait du
thé, Himmler, du café. Il n’y avait entre eux que des petits pots de beurre, de
miel, de confiture, des assiettes qui portaient des tranches de pain bis et des
gâteaux.
    Mais, en vérité, six millions
d’ombres, six millions de squelettes séparaient les deux hommes. Masur n’en
perdait pas le sentiment un instant, lui qui, par les organisations auxquelles
il appartenait, avait connu et suivi pas à pas le martyre sans égal, sans
précédent, des hommes, des femmes, des enfants juifs.
    À Paris, à Bruxelles, à La Haye, à
Oslo, à Copenhague, à Vienne, à Prague, à Budapest, à Sofia, à Belgrade et
Varsovie et Bucarest et Athènes et Vilno et Reval et Riga et dans toutes les
cités, tous les villages des pays où ces villes servaient de capitales, et puis
en Russie blanche et en Ukraine et en Crimée – partout, de l’océan Polaire
jusqu’à la mer Noire, s’étaient déroulées les mêmes étapes du supplice :
étoile jaune, mise hors la loi commune, rafles atroces dans la nuit ou le jour
levant, convois interminables où voyageaient ensemble les vivants et les cadavres,
et les camps, la schlague, la faim, la torture, la chambre à gaz, le four
crématoire.
    Voilà ce que personnifiait et
incarnait pour Masur l’homme assis en face de lui, de l’autre côté de la table
aimablement garnie, l’homme chétif, aux yeux gris sombre protégés par des
verres sur monture d’acier, aux pommettes mongoloïdes, l’homme en grand
uniforme de général S.S. et constellé de décorations dont chacune représentait
la récompense d’un crime.
    Mais lui qui avait imposé
impitoyablement le port de l’étoile, donné le signal des rafles, payé les
délateurs, bourré les trains maudits, gouverné de haut tous les camps de mort,
commandé à tous les tourmenteurs et à tous les bourreaux, lui, il était
parfaitement à l’aise. Et même il avait bonne conscience.
    Ayant bu son café, mangé quelques
gâteaux, il essuya proprement ses lèvres avec un napperon et passa à la
question juive sans embarras aucun.
    Il y prit même du plaisir. Ce
n’était pas sadisme chez lui. Il n’en avait point. Mais il pouvait assouvir de
la sorte – et les occasions se faisaient de plus en plus rares – son
besoin de faire un cours, de parler en paragraphes et alinéas bien ordonnés,
sentencieux, – bref, son
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