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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus
Autoren: Robert Margerit
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tête aux ultras, peut-être, mais pas aux coalisés, avec leurs armées. Il va donc falloir, bon gré mal gré, faire la part du feu, sacrifier quelques-uns pour sauver le grand nombre. Au reste, désigner une cinquantaine de coupables et là-dessus clore définitivement la liste, en annonçant que désormais toutes dénonciations, tous attentats, tous désordres seront réprimés au nom du roi, n’est-ce pas le seul moyen d’arrêter les vengeances ? Et je me flatte qu’aucun de ces cinquante ne sera plus ici quand viendra l’ordre de les saisir. Thibaudeau a filé dès le 6. Ney roule vers la Suisse avec les passeports dont je l’ai muni ; j’en distribue à tous ceux qui risqueraient d’être victimes.
    — Dois-je t’en demander ?
    — Toi ! Assurément non. Tu es resté étranger à l’Empire et n’as joué aucun rôle pendant les Cent-Jours. Nul ne songe à t’inquiéter. »
    En effet, le nom de Claude ne figura pas dans l’ordonnance royale qui parut le 25 juillet, contresignée par le duc d’Otrante. Elle comprenait quatre articles. Le premier, déclaration de principe, établissait un distinguo entre les fautes. En raison de quoi, le second traduisait devant un Conseil de guerre Ney, La Bédoyère, Drouet d’Erlon, Grouchy et onze autres maréchaux ou généraux, plus le duc de Rovigo et Lavalette, tous considérés comme ayant « trahi le roi avant le 20 mars ». Ces dix-sept là encouraient la peine de mort. L’article III proscrivait purement et simplement cinquante personnes coupables d’avoir, après le 20 mars, occupé de hautes fonctions ou témoigné leur hostilité à la monarchie légitime. En tête, venaient Carnot, Thibaudeau, Réal, Maret, Regnault de Saint-Jean d’Angély, Barère, suivis de gens fort obscurs à présent, comme l’ex-babouviste Le Pelletier de Saint-Fargeau, les anciens conventionnels Desportes, Garnier de Saintes, l’ex-académicien Arnault. Le quatrième article précisait : « Ces deux listes sont et demeureront closes. Elles ne pourront jamais être étendues, pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce soit. »
    Certes, Fouché avait activement contribué à la chute de Napoléon – qui, ayant choisi de se livrer aux Anglais, voguait vers Sainte-Hélène. Néanmoins, le nom du duc d’Otrante eût été fort à sa place dans la seconde liste, et l’on estimait odieux que le ministre des Cent-Jours contresignât une ordonnance proscrivant ses propres compagnons. « On ne me comprend pas, dit-il à Claude. Carnot m’en veut furieusement. Je n’y puis rien ; il me fallait parapher cette ordonnance ou quitter le ministère, et alors que serait devenue la politique de modération ? » Il employait en vérité toute son ingéniosité retorse, toutes ses ressources à contrecarrer les ultras. Il avait, dans le Conseil, obtenu le rappel des commissaires extraordinaires. Il expédia aux préfets les instructions les plus sévères pour réprimer les désordres. Il ne put prévenir l’assassinat du maréchal Brune, massacré en Avignon, ni celui du général Ramel à Toulouse, ni l’exécution de La Bédoyère qui, muni par lui de passeports pour la Suisse, avait eu l’imprudence de s’attarder à Paris ; mais, à la fin d’août, il tenait la situation en main. Sûr de lui, il déclarait hardiment aux fougueux royalistes étonnés par sa fermeté : « Rien en dehors du roi et de la nation. Les fonctionnaires, les magistrats qui ne montreraient pas l’énergie exigée par les circonstances, pour faire respecter la charte royale et rétablir l’empire des lois, trahiraient leurs devoirs, les intérêts de l’État et la confiance du roi. » Cette sagesse convenait aux goûts de Louis XVIII, et Wellington, Alexandre approuvaient une politique de modération si nécessaire à la tranquillité de la France, indispensable à la paix en Europe.
    L’horrible fin de Brune émut beaucoup Claude, désormais seul de ceux qui se réunissaient, Cour du commerce, à la table de Danton. Santerre était mort en 1809, ruiné une seconde fois. Fréron, peu sympathique mais associé aux meilleurs souvenirs, avait péri de la fièvre jaune à Saint-Domingue. Qu’il semblait loin, le temps des grandes espérances, de l’enthousiasme, de la jeunesse ! Et pourtant, il n’y avait de cela que vingt-cinq ans. Claude ne se sentait pas vieilli ; il se donnait à sa profession avec autant d’activité, de conviction, qu’autrefois à la
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