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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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de cela, la pension
viagère qu'il se chargeait de me payer suffisait pour ma
subsistance. Milord maréchal, ayant recouvré tous ses biens, m'en
avait offert une de 1200 francs, que je n'avais acceptée qu'en la
réduisant à la moitié. Il m'en voulut envoyer le capital, que je
refusai, par l'embarras de le placer. Il fit passer ce capital à du
Peyrou, entre les mains de qui il est resté, et qui m'en paye la
rente viagère sur le pied convenu avec le constituant. Joignant
donc mon traité avec du Peyrou, la pension de milord maréchal, dont
les deux tiers étaient réversibles à Thérèse après ma mort, et la
rente de 300 francs que j'avais sur Duchesne, je pouvais compter
sur une subsistance honnête, et pour moi, et après moi pour
Thérèse, à qui je laissais 700 francs de rente, tant de la pension
de Rey que de celle de milord maréchal: ainsi je n'avais plus à
craindre que le pain lui manquât, non plus qu'à moi. Mais il était
écrit que l'honneur me forcerait de repousser toutes les ressources
que la fortune et mon travail mettraient à ma portée, et que je
mourrais aussi pauvre que j'ai vécu. On jugera si, à moins d'être
le dernier des infâmes, j'ai pu tenir des arrangements qu'on a
toujours pris soin de me rendre ignominieux, en m'ôtant avec soin
toute autre ressource, pour me forcer de consentir à mon
déshonneur. Comment se seraient-ils doutés du parti que je
prendrais dans cette alternative? Ils ont toujours jugé de mon cœur
par les leurs.
    En repos du côté de la subsistance, j'étais sans souci de tout
autre. Quoique j'abandonnasse dans le monde le champ libre à mes
ennemis, je laissais dans le noble enthousiasme qui avait dicté mes
écrits, et dans la constante uniformité de mes principes, un
témoignage de mon âme qui répondait à celui que toute ma conduite
rendait de mon naturel. Je n'avais pas besoin d'une autre défense
contre mes calomniateurs. Ils pouvaient peindre sous mon nom un
autre homme; mais ils ne pouvaient tromper que ceux qui voulaient
être trompés. Je pouvais leur donner ma vie à épiloguer d'un bout à
l'autre: j'étais sûr qu'à travers mes fautes et mes faiblesses, à
travers mon inaptitude à supporter aucun joug, on trouverait
toujours un homme juste, bon, sans fiel, sans haine, sans jalousie,
prompt à reconnaître ses propres torts, plus prompt à oublier ceux
d'autrui, cherchant toute sa félicité dans les passions aimantes et
douces, et portant en toute chose la sincérité jusqu'à
l'imprudence, jusqu'au plus incroyable désintéressement.
    Je prenais donc en quelque sorte congé de mon siècle et de mes
contemporains, et je faisais mes adieux au monde en me confinant
dans cette île pour le reste de mes jours; car telle était ma
résolution, et c'était là que je comptais exécuter enfin le grand
projet de cette vie oiseuse, auquel j'avais inutilement consacré
jusqu'alors tout le peu d'activité que le ciel m'avait départie.
Cette île allait devenir pour moi celle de Papimanie, ce
bienheureux pays où l'on dort: On y fait plus, on n'y fait nulle
chose.
    Ce plus était tout pour moi, car j'ai toujours peu regretté le
sommeil; l'oisiveté me suffit; et pourvu que je ne fasse rien,
j'aime encore mieux rêver éveillé qu'en songe. L'âge des projets
romanesques étant passé, et la fumée de la gloriole m'ayant plus
étourdi que flatté, il ne me restait, pour dernière espérance, que
celle de vivre sans gêne, dans un loisir éternel. C'est la vie des
bienheureux dans l'autre monde, et j'en faisais désormais mon
bonheur suprême dans celui-ci.
    Ceux qui me reprochent tant de contradictions ne manqueront pas
ici de m'en reprocher encore une. J'ai dit que l'oisiveté des
cercles me les rendait insupportables, et me voilà recherchant la
solitude uniquement pour m'y livrer à l'oisiveté. C'est pourtant
ainsi que je suis; s'il y a là de la contradiction, elle est du
fait de la nature et non pas du mien: mais il y en a si peu, que
c'est par là précisément que je suis toujours moi. L'oisiveté des
cercles est tuante, parce qu'elle est de nécessité; celle de la
solitude est charmante, parce qu'elle est libre et de volonté. Dans
une compagnie il m'est cruel de ne rien faire, parce que j'y suis
forcé. Il faut que je reste là cloué sur une chaise ou debout,
planté comme un piquet, sans remuer ni pied ni patte, n'osant ni
courir, ni sauter, ni chanter, ni crier, ni gesticuler quand j'en
ai envie, n'osant pas même rêver; ayant à la
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