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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain
Autoren: Amin Maalouf
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s’était abattu sur sa ville, qu’il regrettait très certainement la félonie
dont sa famille s’était rendue coupable, et qu’il ferait tout pour réparer
cette faute en essayant de sauver ce qui pouvait encore l’être de Rome et de la
dignité pontificale.
    La venue de ce Colonna ne me surprenait donc pas.
En revanche, je ne soupçonnais nullement qu’au cours de ses entretiens avec le
pape l’émissaire allait parler de moi. Je ne l’avais jamais rencontré
auparavant et, quand un milicien vint me convoquer d’urgence aux appartements
pontificaux, je n’avais pas la moindre idée de ce qui pouvait m’être demandé.
    Les deux hommes étaient assis dans la
bibliothèque, sur des fauteuils rapprochés. Le pape Clément ne s’était pas rasé
depuis deux semaines, signe de deuil et de protestation contre le sort qui lui
était infligé. Il me demanda de m’asseoir et me présenta son visiteur comme
« un fils très cher, un ami précieux et dévoué ». Colonna avait un
message pour moi, qu’il délivra avec quelque condescendance :
    « L’aumônier des lansquenets de Saxe m’a
demandé de vous assurer de son amitié et de son reconnaissant souvenir. »
    Un seul Saxon pouvait connaître Léon l’Africain.
Son nom m’échappa comme un cri de victoire, quelque peu indécent en la
circonstance :
    « Hans !
    — Un de vos anciens élèves, si j’ai bien
compris. Il tient à vous remercier de tout ce que vous lui avez appris avec
tant de patience, et à vous montrer sa gratitude en vous aidant à sortir d’ici
avec votre femme et votre fils. »
    Avant que j’aie pu réagir, le pape
intervint :
    « Bien entendu, je ne m’opposerai en aucune
manière à la décision que vous prendrez, quelle qu’elle soit. Mais je me dois
de vous prévenir que votre départ ne se fera pas sans de très graves risques
pour vous et pour les vôtres. »
    Colonna m’expliqua :
    « Parmi les troupes qui encerclent le
château, il y a un grand nombre d’enragés qui veulent aller jusqu’au bout dans
l’humiliation du siège apostolique. Il s’agit surtout d’Allemands fanatisés par
Luther, Dieu le poursuive de Sa colère jusqu’à la fin des temps ! D’autres,
en revanche, voudraient mettre fin au siège et trouver une solution qui mette
un terme à l’humiliation de la chrétienté. Si Sa Sainteté cherchait à sortir
aujourd’hui, je connais des régiments qui n’hésiteraient pas à s’emparer de sa
personne et à lui faire subir le pire des supplices. »
    Clément blêmit, pendant que son visiteur
poursuivait :
    « Cela, ni moi ni même l’empereur Charles ne
pourrions l’empêcher. Il faudra négocier longtemps encore, recourir à la
persuasion, à la ruse, n’épargner aucun moyen. En particulier, il serait utile
de donner un exemple. Nous avons aujourd’hui la chance inespérée de pouvoir
faire sortir un des assiégés à la demande expresse d’un prédicateur luthérien.
Il vous attend, avec un détachement de Saxons, tous hérétiques comme lui, et il
se dit prêt à vous escorter lui-même loin d’ici. Si tout se passe bien, si
toute l’armée apprend demain que l’aumônier des lansquenets de Saxe a libéré un
des assiégés de Saint-Ange, il nous sera moins difficile de proposer, dans
quelques jours ou quelques semaines, la libération d’autres personnes,
peut-être même Sa Sainteté, dans des conditions de dignité et de
sécurité. »
    Clément VII intervint à nouveau :
    « Je le répète, il ne faut pas ignorer les
risques. Son Éminence me dit que certains soldats fanatisés pourraient vous
déchirer en morceaux, vous, votre famille et votre escorte, sans même épargner
cet aumônier. La décision qui vous est demandée n’est pas facile. De plus, vous
n’avez pas le temps de réfléchir. Le cardinal s’apprête déjà à partir et vous
devriez l’accompagner. »
    Par tempérament, il m’était préférable de courir
un risque immédiat mais de courte durée plutôt que de m’éterniser dans cette
prison assiégée qui, à chaque instant, pouvait être envahie et mise à feu et à
sang. Ma seule hésitation concernait Maddalena et Giuseppe. Il ne m’était pas
facile de les conduire, de plein gré, au milieu des hordes d’assassins et de
pillards. Cela dit, en les laissant à Saint-Ange, avec ou sans moi, je n’assurais
en rien leur sécurité.
    Colonna me pressa :
    « Qu’avez-vous choisi ?
    — Je m’en remets à Dieu. Je vais dire à
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