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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi
Autoren: Robert Merle
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lumière qu’elle avait
fait surgir, Caterina apporta très peu de réconfort à la reine.
    —  Un sogno è un sogno [99] ,
dit-elle laconiquement.
    Et Marie au bout d’un instant se remettant dans les draps, Caterina
souffla la bougie et s’en alla recoucher sur son matelas, en pensant :
« Demain, Dieu merci, elle va s’apparesser au lit. »
    La reine s’y apparessa, en effet, et ne commença à remuer sa
considérable masse sur sa couche que sur le coup de dix heures. Caterina, qui
était réveillée depuis belle heurette, et n’ignorait pas que sa maîtresse, au
réveil, avait l’humeur escalabreuse, se leva dès quelle ouït ces remuements,
rangea prestement le matelas dans le placard, s’habilla en un tournemain et
sortit à pas feutrés de la chambre royale. Sa « chevauchée » avait
pris fin avec le lever de la reine : le reste était maintenant du ressort
des onze chambrières que comportait le service diurne de Sa Majesté. Bien que,
dans l’ensemble, Caterina fût bien payée et assez bien traitée, ces bonnes
semences tombaient sur un sol ingrat : elle n’aimait pas Marie, et lui
gardait mauvaise dent de l’avoir réveillée au milieu de la nuit.
    Les appartements de la reine-mère se situaient à l’ entresuelo, et oyant du bruit dans la cour, Caterina ouvrit la fenêtre et avisant
Vitry, qui discourait au milieu d’un groupe de gentilshommes, elle lui
cria :
    — Monsieur de Vitry, che cosa c’è ? [100]
    Vitry, béant d’être ainsi interpellé, et en italien, sourcilla
fort, mais s’avisant aussitôt que c’était une femme et une femme qui béait
devant lui chaque fois qu’elle le rencontrait, il répondit :
    — Le maréchal d’Ancre a été tué !
    —  Per chi ?
    —  Par moi ! répliqua Vitry avec truculence.
Et de l’ordre du roi !
    Caterina ferma la fenêtre. De toute évidence, c’était son
devoir d’aller sans tant languir porter cette nouvelle à la reine, mais un
devoir qu’elle se prépara à accomplir avec un certain plaisir, car n’étant
point sotte, elle imagina aussitôt quel effet désastreux la mort de Conchine
allait produire sur sa maîtresse.
    La reine était levée, n’ayant sur le dos qu’un manteau de
chambre en soie, quelle n’avait pas pris la peine de fermer sur son corps
opulent, mais on sait que dans l’intimité cette femme pudibonde se
dépoitraillait volontiers ; et elle s’était affalée sur une chaire, les
jambes disgracieusement écartées, le menton tombant sur la poitrine, et les
cheveux pendant sur son visage, l’air à la fois revêche et angoisseux. Elle
sursauta quand, entrant dans la chambre, Caterina claqua la porte derrière
elle, ce dont aussitôt elle s’excusa humblement, se génuflexant et la tête
touchant quasi le sol, alors même que ce claquement avait été prémédité pour
effrayer sa maîtresse.
    — Eh bien, qu’y a-t-il ? dit Marie. Pourquoi me
regardes-tu ainsi ?
    — Madame, ce que j’ai à vous annoncer ne va pas vous
plaire.
    — Or sus, parle ! Parle, effrontée !
    — Madame, dit Caterina en relevant la tête et en
parlant soudain d’une voix éclatante, le maréchal d’Ancre vient d’être tué par
Monsieur de Vitry, et de l’ordre du roi !
    — Est-ce vrai ? cria la reine en se levant de sa
chaire, l’air égaré.
    — Monsieur de Vitry vient de me le dire !
    — Mon Dieu ! dit Marie, les deux mains appuyées
contre son cœur, blême, suffocante, ouvrant et remuant les lèvres, mais sans
pouvoir parler.
    Elle fit trois à quatre pas dans la pièce, s’arrêta, tourna
sur elle-même, revint sur ses pas, et tâtonnant de la main pour en saisir le
dossier, comme si ses yeux lui refusaient tout service, elle se laissa retomber
sur la chaire qu’elle venait de quitter.
    À cet instant entrèrent en hâte dans la chambre royale, dans
un grand brouhaha de paroles, affairées et peu vêtues, les trois amies les plus
intimes de la reine, Madame de Guercheville (qui avait l’œil sur ses demoiselles
d’honneur), ma bonne marraine, la duchesse de Guise, et ma demi-sœur, la
scintillante princesse de Conti. « À vrai dire, me dit-elle plus tard en
me contant la scène qui suivit, je ne scintillai pas alors de tous mes feux,
étant, comme ma mère et la Guercheville, en jupons, ni coiffée, ni pimplochée,
le tétin peu pommelant, et pas le moindre bijou ! Nous venions d’apprendre
l’exécution de Conchine et nous accourions au saut du lit pour conforter
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