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Le talisman de la Villette

Le talisman de la Villette

Titel: Le talisman de la Villette
Autoren: Claude Izner
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arcades. Ce mausolée jadis édifié par Claude Nicolas Ledoux 2 renfermait, à l’abri de pilastres carrés, des bureaux et des denrées stockées contre caution. Son aspect funèbre était aggravé par sa décrépitude et sa saleté. Un fronton triangulaire surmontait des barreaux rouillés où était apposé un écriteau :
    DÉFENSE D’ENTRER
    À la clarté d’une lanterne, Martin Lorson devina un individu doté d’un sabre-baïonnette et d’un képi, en faction près de l’un des quatre péristyles. Il frisottait le bout de son énorme moustache rousse et arpentait son territoire. Lorsqu’il discerna son remplaçant, il endossa sa pèlerine, et lui livra son ceinturon et son couvre-chef brodé d’un cor de chasse rouge sur fond sombre.
    — Je commençais à en avoir marre, c’est que je n’ai pas le temps de faire le lézard, moi !
    — Je n’ai que deux jambes.
    — Excuse. Je risque de m’éterniser un chouïa, j’envisage un tête-à-tête avec une gigolette, elle joue les utilités au théâtre de la Villette. Je lui ai garanti un gueuleton qui tournera peut-être à la gaudriole. Cette Pauline, c’est de la crème !
    Il embrassa bruyamment son pouce, son index et son médius réunis, sans obtenir de son interlocuteur davantage qu’un grognement désapprobateur. Martin Lorson se moquait des confidences du gardien Alfred Gamache. De surcroît, en abrégeant ses commentaires, il désirait s’en débarrasser afin de s’imbiber du rhum acheté à midi à La Comète des abattoirs.
    Après avoir écarté le sabre le plus loin possible, il s’adonna à cette occupation qui le plongea en une exquise béatitude. Boulevard de la Chapelle, les frêles accords d’un orgue de Barbarie égrenaient La Fille de Mme Angot 3 . Recroquevillé contre les barreaux, il céda bientôt à la somnolence. Les alentours étaient déserts, tout juste si, à intervalles irréguliers, un clic-clac de talons résonnait sur le macadam. Le large bassin dormait, fatigué de l’incessant va-et-vient des péniches lestées de matériaux destinés aux usines du port ou déposés en consignation chez les entrepositaires.
    Emporté dans les brumes de sa griserie, Martin Lorson ne remarqua pas la survenue d’un fiacre sur le terre-plein séparant la rotonde du canal. Une femme vêtue d’une toilette de bal protégée d’une cape pailletée d’or en descendit et renvoya le cocher. Elle considéra les environs, le visage dissimulé sous un loup de velours noir. Un deuxième attelage ébranla la chaussée de la rue de Flandre, arrachant Martin Lorson à sa transe, et se rangea hors de sa vue. Le passager, un homme à feutre mou, hésitait sous la lumière pâle d’un bec de gaz. Cigarette aux lèvres, il étudia le manège de la femme, appliquée à ne pas poser ses semelles sur les joints des pavés. Enfin, il se décida à l’aborder.
    — Si les gens de la haute combinent leurs cochoncetés ici, ça va être gai, marmonna Martin Lorson.
    Mais il constata qu’il n’avait pas affaire à des soupirants. Sinon, comment justifier une telle froideur ? aucune étreinte, nulle ébauche d’un geste tendre. Ils se contentaient de parler sans qu’on puisse démêler leurs propos. Voilà que la femme agitait une enveloppe extraite de son sac. L’homme essayait de s’en emparer mais déjà la femme l’avait escamotée en riant et détalait vers la rue de Flandre. L’homme réagit au terme de trois ou quatre secondes, et tout alla si vite que Martin Lorson en oublia de brandir le sabre-baionnette. L’homme se rua sur la femme qu’il empoigna par le cou et serra, serra, jusqu’à ce qu’étranglée et secouée comme un pantin, sa victime désarticulée s’affaissât entre ses bras. Il la laissa glisser à terre, contempla sa silhouette pétrifiée, se baissa, rafla le sac et se sauva. Les sabots d’un cheval lancé au trot émirent un claquement.
    Boulevard de la Chapelle, La Fille du tambour-major 4 avait succédé à La Fille de Mme Angot .
    Brusquement, une forme masculine surgit de l’arrière de la rotonde.
    « Je suis pompette, songea Martin Lorson, le cœur en déroute. J’ai des visions… C’est fini, oui ? »
    Non, ça ne l’était pas. L’assassin était revenu. Penché au-dessus de la femme, il lui ôtait son masque.
    Un genou à terre, hypnotisé, il la dévisagea minutieusement avant de rajuster le loup et de se fondre dans les profondeurs de l’octroi.
    L’angoisse absolue est sans voix,
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