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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce
Autoren: Andrea H. Japp
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qu’ils échangeaient était son
premier baiser. Sans doute était-ce vrai. Lorsqu’il se recula, elle trébucha,
luttant contre l’envie de le tirer vers elle, vers son ventre. Il le lut dans
son regard noyé et hocha la tête lentement en souriant :
    — Il me faut partir, madame,
aussitôt, sans quoi je risque de me laisser aller à un péché… à une série de
péchés, dont je ne pourrais me repentir.
    — Le devez-vous vraiment ?
    — Ne me tentez pas. Je suis
très sensible à la tentation lorsqu’elle me vient de vous et n’ai nulle envie
d’y résister. Je fournis à cet instant un considérable effort pour demeurer
gentilhomme. Et moi qui croyais que l’on pouvait se fier aux dames, réputées
plus raisonnables !
    — Si fait. Cela étant, vous
êtes coupable de cette faiblesse, cette déraison, qui me vient soudain… et me
stupéfie, je l’avoue, le fard au front.
    Il accueillit le compliment d’un
petit salut de tête et prit congé, très vite et à grand regret.
    L’idée de la vie qui pulsait sous sa
peau. L’idée de sa force qu’il sentait dans chaque mouvement. L’idée de son
existence enfin. L’idée que les années qui lui pesaient tant venaient de
s’évaporer comme un vilain nuage. L’idée que, au-delà de sa fortune, de son
nom, il était un homme qu’une femme étonnante, bouleversante, étrange venait de
distinguer comme le seul homme, l’unique. Il aurait pu revendiquer, obtenir à
peu près n’importe quelle femme. Celle-là, celle qu’il voulait plus que tout,
ne tenait qu’à un fil, un fil ténu et pourtant obstiné, celui qu’elle avait
choisi de tisser et qui la conduisait à lui. Rien ne serait simple, elle
n’était pas simple. Il pouffa en montant en selle. Ogier remua de la crinière
en bienvenue. Ronan lui claquerait le bec en répétant d’une voix courtoise mais
sans appel que, « ce n’est pas parce que les dames ne pensent pas comme
nous qu’elles pensent compliqué. Au demeurant, l’expérience prouve qu’elles
pensent souvent fort juste ». La vie était une merveille. Pourquoi en
avait-il douté si longtemps ? Pourquoi avait-il fallu qu’il patiente si
longtemps pour l’entrevoir ?
    — Ogier… ton maître se découvre
un fol. Un fol, fou de bonheur. Certes, cela vaut mieux qu’être un sage sinistre,
ne crois-tu pas ? J’en ai fini avec la tristesse qui ne m’a pas quitté
depuis si longtemps. C’est une belle nouvelle, mon valeureux. Allons. Il nous
faut rentrer avant que je change d’avis et force la porte de chambre de ma
dame. Il s’en faudrait de peu, très peu. Va, mène-moi. Ogier, mon doux Ogier,
la vie des hommes est bien compliquée.
    Quelques toises plus loin, le comte
reprit son monologue :
    — Ogier… je rêve de ses mains,
de son cou, de sa peau… Enfin… tu vois. Je rêve de son rire, de ses exclamations
lorsque je la promènerai dans nos jardins. Je rêve de ses émerveillements
lorsqu’elle découvrira tout ce qui lui revient par mariage… Le pire, cher
Ogier, est que je ne suis même pas certain que les biens terrestres l’attirent
tant que cela. En revanche, je suis sûr que l’étang, les arbres, les fleurs,
les paons et les daims l’éblouiront.
    Se sentant philosophe puisqu’il
était séduit au-delà de ses espérances, il poursuivit :
    — Non, vois-tu Ogier, en dépit
de ce qu’affirme Ronan, les femmes sont d’une essence très différente de la
nôtre. Attention, je ne dis pas que ladite essence est moins précieuse et en
tout cas, elle est plus stimulante, du moins pour un homme. Cela étant, il faut
être juste : c’est très différent… voire incompréhensible.
    L’hilarité le plia sur la crinière
du destrier lorsqu’il se rendit compte qu’il devisait avec l’animal comme s’il
s’agissait d’un grand sage, dont la qualité la plus précieuse était sans doute
de ne jamais répondre.
     

Abbaye de femmes des Clairets,
Perche, décembre 1304
    None venait de sonner. Annelette
avait prétexté un pressant inventaire pour y manquer. Bien qu’un calme
approximatif fût revenu depuis le décès de l’enherbeuse, la crainte régnait
toujours. Les inventaires d’herbarium rassuraient les moniales. Annelette
contrôlait grâce à eux qu’aucune vilenie n’était en train de se commettre.
Aussi Berthe de Marchiennes, qui faisait office de vice-abbesse depuis le
départ de madame de Neyrat, avait-elle encouragé l’apothicaire à s’affairer en
son petit
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