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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny
Autoren: Monique Demagny
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se souvenait du bal masqué où le roi avait eu la fantaisie de n’être qu’un if parmi d’autres ifs masqués à sa manière. Le dessin de Cochin était habile et précis,on y distinguait tous les détails à commencer par le profil de Jeanne parfaitement reconnaissable. Elle bavardait, badinait peut-être, avec un if mystérieux que la cour entière n’avait pas tardé à identifier. Le destin de Jeanne avait basculé ce soir-là, celui d’Abel en même temps. Tout à son idée Soufflot poursuivait son discours.
    — Quelle imagination aussi ! Avez-vous vu ses illustrations des œuvres de Virgile ?
    Vandières inclina la tête en signe d’assentiment. Un instant Soufflot s’interrogea. Quel était à cet instant précis le sentiment du frère de la marquise de Pompadour ? L’architecte savait être percutant pour faire avancer ses idées. Il poussa son avantage.
    — Vous l’avez compris, Cochin est mon ami. Je l’admire, il a toute mon estime.
    — Je suis certain que cette amitié-là est bien placée. Viendrait-il ?
    — Si vous me le permettez, je vais de ce pas le quérir.
    Décidément Vandières était conquis, Soufflot n’était pas homme à tergiverser.

    L’équipe était constituée. La marquise de Pompadour n’y trouva rien à redire. Elle avait elle-même trouvé les premiers talents à mettre au service de son frère. Le troisième mentor serait d’une grande utilité, elle approuva ce choix. Cochin allait tout dessiner ! Un dernier détail la conforta dans l’aréopage finalement rassemblé, Abel n’était âgé que de vingt-deux ans, c’était bien jeune pour le lancer dans ce voyage tellement important pour sonavenir. Il fallait à ses côtés des talents certes, mais aussi des hommes d’expérience dont la sagesse pourrait compenser la fougue de sa jeunesse. Le Blanc avait quarante-deux ans, Soufflot trente-six, Cochin trente-quatre. Le petit frère serait bien encadré.

Les voyageurs quittèrent Paris à l’aube du vendredi 20 décembre de l’année 1749, dans la solitude qui était la sienne au milieu d’un peuple de courtisans Jeanne en avait le cœur serré. Abel l’avait quittée la veille après le souper des petits appartements sans effusions qui auraient été importunes et n’auraient pas manqué d’être commentées et moquées. Les attendrissements n’étaient pas de mise à Versailles. Au moment de quitter Jeanne, Abel pourtant avait dû se faire violence pour demeurer souriant et impassible. C’était ce que Jeanne attendait de lui, il en était certain. Elle avait parfaitement réussi son éducation et c’était une occasion de plus de s’en féliciter. Pourtant… Pourtant la moindre trace d’une émotion sur le visage du petit frère l’aurait comblée. La parfaite maîtrise de lui-même dont il faisait preuve la satisfaisait et dans le même temps la séparation la déchirait.
    Ce n’était pas plus simple pour Abel. Le sentiment qui l’étreignit au moment précis de son départ était complexe. Il y avait d’abord une indéniable angoisse. La séparation serait longue, comment allait-il vivre sans Jeanne ? En s’éloignant d’elle Abel avait parfaitement conscience de perdre ses repères. À partir de cet instant il allait marcher seul et dans l’inconnu. C’était effrayant ? Non, le mélange des sentiments était pluscompliqué. Il s’échappait, c’était grisant ! En Italie il ne serait plus le petit frère. Adieu les leçons de morale, les préceptes de bonne conduite, la pesanteur des conseils. La liberté était à deux pas, juste au-delà des Alpes. Peut-être. Pourtant le projet restait celui de Jeanne. N’était-il donc pas coupable de cette joie qui l’inondait, à son cœur défendant, et le déroutait ? En quittant Paris au petit matin Abel balançait plus entre une inévitable anxiété et l’égoïsme heureux de la belle échappée.

    Quand le jour se leva la voiture était déjà loin de Paris et après un silence un peu embarrassé, coupé seulement de quelques remarques aussi brèves qu’anodines, la conversation s’amorça enfin entre les quatre hommes enfermés dans l’habitacle étroit d’une voiture. Ils ne s’étaient pas choisis, ils s’étaient plutôt acceptés. Chacun d’entre eux y avait un intérêt, et chacun d’entre eux aussi avait fait le pari risqué que leur réunion un rien hasardeuse serait une réussite. Dans un premier temps ils échangèrent quelques banalités, on était
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