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Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs
Autoren: Michel Zévaco
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celle que tu aimes, à cette Léonore, qui…
    – Malheureuse ! » tonna Roland.
    Il était devenu livide.
    « Adieu, madame », dit-il brusquement d’une voix altérée.
    Et il s’élança au-dehors. Rugissante, ivre de passion et de fureur, tragique et sublime d’impudeur, Imperia déchira les voiles qui couvraient sa splendide nudité, et sanglotante, se roula sur une peau de lion en mordant ses poings pour étouffer ses cris.
    Ses yeux, tout à coup, tombèrent sur un homme qui, les bras croisés, debout dans l’encadrement de la porte, la regardait.
    « Jean Davila !… » cria-t-elle bondissante.
    Puis elle interrogea haletante.
    « Vous avez vu ?
    – Tout !…
    – Vous avez entendu ?…
    – Tout !… »
    Elle éclata d’un rire atroce et dément. Et lui, d’une voix glaciale, reprit :
    « Vous allez mourir !… Ah ! c’est pour retrouver Roland Candiano que vous avez suivi Jean Davila dans Venise ! Par le Ciel, madame, je vous glorifie de votre impudence. Et j’admire le destin qui a voulu employer à pareille besogne le patrimoine des Davila ! Ainsi ma mère, et la mère de ma mère, et toutes mes aïeules, aussi loin que je remonte dans les âges, auront forgé à force d’économie une fortune princière pour qu’un jour il vous plût, à vous, d’élever un temple impur à vos amants de passage !
    – Un temple ! rugit-elle, échevelée ; ah ! tu ne crois pas si bien dire !… Viens et regarde ! »
    D’un bond elle s’était ruée sur une tenture qu’elle jetait bas, ouvrait une porte secrète et se jetait dans une chambre où Jean Davila, écumant, se précipita à sa suite. Il s’arrêta stupéfait, comme devant une vision de songe fantastique.
    Au fond, de trois énormes brûle-parfums, s’échappaient d’enivrantes senteurs. Et au-dessus de ces cassolettes supportées par des trépieds d’argent, dans une sorte de gloire, encadré d’or, apparaissait le portrait de Roland Candiano.
    Jean Davila, les yeux sanglants, le visage bouleversé, hurla :
    « Créature d’enfer ! Descends chez les damnés pour y achever ton obscène adoration. »
    Il s’élança sur elle, titubant de fureur, le poignard levé.
    « Meurs ! » râla-t-il.
    Prompte comme la foudre, Imperia saisit le bras au vol, le serra furieusement, le porta à sa bouche et le mordit… Le poignard tomba… Dans le même instant, elle le ramassa, et l’enfonça jusqu’à la garde dans la poitrine de Jean Davila…
    Il tomba comme une masse, sans pousser un cri. Imperia, de ses yeux exorbités par l’horreur, contempla le cadavre sanglant, et, lentement, se mit à reculer.
    A ce moment, quelqu’un la toucha à son épaule nue…
    Elle se retourna épouvantée, délirante, prête à un nouveau meurtre, et vit une figure blême qui souriait hideusement.
    q

Chapitre 3 LES FIANCAILLES
    L e lendemain, vers 9 heures du soir, le palais ducal était illuminé. Sa masse pesante et sévère apparaissait alors plus gracieuse avec ses ogives, ses trèfles, sa merveilleuse
loggietta
– tout son aspect oriental mis en relief par les lumières accrochées à toutes les arêtes.
    Venise entière était dehors, affluant en orageux tourbillons autour du vaste monument, ses canaux hérissés de gondoles qui s’entrechoquaient. Et cette foule ne chantait plus comme la veille : de sourdes rumeurs l’agitaient.
    Dans le palais, à l’entrée des immenses et somptueuses salles de réception, au haut de l’escalier des Géants, le doge Candiano lui-même se tenait debout, revêtu du costume guerrier, recevant les hommages de tout le patriciat de Venise et de la province accouru à la cérémonie. Près de lui, la dogaresse Silvia, très pâle, le visage empreint d’une dignité imposante accueillait les souhaits des invités par un sourire inquiet, et son regard semblait vouloir lire jusqu’au fond de l’âme de ces hommes le secret de leur pensée – le secret du bonheur de son fils… ou de son malheur !
    Bembo était arrivé l’un des premiers en disant :
    « J’ai composé pour le jour du mariage un divin épithalame que l’Arioste [2] ne désavouera point ! Il en sera jaloux ! »
    Et c’était étrange de voir tous les invités, revêtus de costumes de cérémonie, porter au côté non la légère épée de parade, mais le lourd estramaçon de combat. Sous les pourpoints de satin on devinait les cottes de mailles, et sous les sourires des femmes on voyait clairement la
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