Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Le Pont des soupirs

Titel: Le Pont des soupirs
Autoren: Michel Zévaco
Vom Netzwerk:
voix me pénètre et me transporte ! Oh ! pour être à toi, toute, pourquoi faut-il attendre encore ?… Roland, ô mon cher fiancé, mon être frémit chaque soir à ce moment d’angoisse où nous nous séparons… Et ce soir, plus que jamais, des pensées funèbres assiègent mon âme…
    – Enfant ! sourit Roland. Ne crains rien… Repose ta confiance en ton époux…
    – Mon époux ! Oh ! ce mot… ce mot si doux, Roland, c’est la première fois que tu le prononces, et il m’enivre. »
    Ils sont maintenant près de la porte du jardin.
    Ils se contemplent avec un naïf et sublime orgueil… ; leurs bras tremblants se tendent ; leurs corps s’enlacent ; leurs lèvres s’unissent.
    Léonore s’est enfuie. Roland a fermé la porte ; puis, lentement, absorbé en son bonheur, il a longé le mur extérieur du jardin, il a longé la vieille église, et se dirige vers sa gondole qui l’attend.
    Et tout à coup, dans la nuit, éclate un cri déchirant :
    « A moi !… On me tue !… A moi !… à moi !… »
    Roland, violemment arraché à son extase, eut le sursaut de l’homme qu’on réveille. Il regarda autour de lui. A vingt pas, vers le canal, un groupe informe se débattait. Il tira la lourde épée qui ne le quittait jamais, et s’élança.
    En quelques instants, il fut sur le groupe et vit une femme, tombée sur ses genoux, que sept ou huit malandrins, lui parut-il, dépouillaient de ses bijoux.
    « Arrière, brigands ! arrière, chiens de nuit ! »
    Les bandits se retournèrent, le poignard levé.
    « Arrière toi-même ! » hurla l’un d’eux.
    Tous ensemble, ils entourèrent le jeune homme dont l’épée commença aussitôt un redoutable moulinet. Mais à ce moment un rayon de lune l’éclaira en plein. Les bravi reculèrent soudain.
    « Roland Candiano ! murmurèrent-ils avec une sorte de terreur mélangée de respect. Roland le Fort !… Sauve qui peut !… »
    Il y eut une fuite précipitée, une débandade.
    Mais le colosse était resté, lui !
    « Ah ! ah ! ricana-t-il, c’est toi qu’on appelle Roland le Fort !… Eh bien, moi, je me nomme Scalabrino ! »
    Scalabrino ! Le célèbre et formidable bandit qui, un jour, quelques années auparavant, en 1504, avait stupéfié Venise par un coup d’audace inouïe !… Le 15 août de cette année-là, avait eu lieu la cérémonie annuelle du mariage de douze vierges aux frais de la république. Selon l’antique tradition, les douze épousées portaient une cuirasse d’argent, un collier de perles et d’autres bijoux précieux que l’on conservait dans le trésor de l’Etat pour servir d’année en année. Scalabrino débarqua avec cinquante compagnons devant Sainte-Marie-Formose. Au moment où les vierges cuirassées d’argent sortaient de l’église, ils fondirent sur elles : il y eut une effroyable mêlée ; mais les douze jeunes femmes furent entraînées dans le bateau-corsaire de Scalabrino qui, léger, admirablement gréé, prit aussitôt le large et ne put être rejoint par les vaisseaux qui s’élancèrent à sa poursuite. Huit jours plus tard, Scalabrino renvoya à Venise les douze vierges dont la pudeur avait été scrupuleusement respectée ; mais il garda les cuirasses d’argent et les colliers de perles.
    Le géant se rua sur Roland la dague haute.
    Mais il n’avait pas fait un pas qu’il chancela, étourdi, aveuglé de sang : Roland venait de lui assener sur le visage deux ou trois coups de poing qui eussent assommé tout autre que le colosse.
    Mais, se remettant aussitôt, il saisit Roland à bras-le  : corps.
    La lutte dura une minute, acharnée, silencieuse.
    Puis, tout à coup, le géant roula sur les dalles, et Roland, le genou appuyé sur sa vaste poitrine, leva sa dague. Scalabrino comprit qu’il allait mourir, car selon les mœurs du temps, il n’y avait pas de quartier pour le vaincu.
    « Vous êtes le plus fort. Tuez-moi ! » dit-il sans trembler.
    Roland se releva, rengaina sa dague et répondit :
    « Tu n’as pas eu peur : je te fais grâce. »
    Scalabrino se remit debout, stupéfait :
    « Monseigneur… je vais vous dire toute la vérité.
    – Va… je t’en fais grâce !
    – Monseigneur !…
    – Va, te dis-je ! »
    Le colosse jeta sur le jeune homme un singulier regard où il y avait comme une aube d’attendrissement et de pitié. Puis, esquissant un geste d’insouciance, il s’éloigna rapidement et bientôt disparut.
    Roland,
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher