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Le peuple du vent

Le peuple du vent

Titel: Le peuple du vent
Autoren: Viviane Moore
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femme vivait au ralenti, alternant souffrances, hallucinations et rares moments de lucidité.
    Pirou vivait au rythme des marées et de l’arrivée des derniers bateaux dans le lac proche. Septembre s’annonçait si froid que les vieux prédisaient mort et famine à qui voulait bien les écouter. Déjà, la gelée blanche recouvrait la lande, les arbres jaunissaient, perdant leurs feuilles. Dans les forêts, les bûcherons s’activaient. Leurs charrois emplis de bûches et de troncs passaient sur les mauvais chemins avec un bruit de tonnerre.
    Ce matin-là, son panier de linge en équilibre sur la hanche, la vieille Bertrade regagnait le donjon. Préoccupée, elle marmonnait en marchant. Elle aurait dû se réjouir de la venue de Muriel et pourtant, quand le souvenait, elle ne ressentait qu’épuisement et désespérance.
    Muriel se mourait et elle n’y pouvait rien.
    Elle se souvenait de la jolie fillette qu’elle avait été. Quand elles étaient seules, elle l’appelait sa « toute petite ». Elle se rappelait encore le déchirement quand Serlon de Pirou l’avait donnée le jour de ses dix ans à Ranulphe de l’Épine.
    Muriel avait été mariée à douze ans et mère à treize. Aujourd’hui, quel âge avait-elle ? Vingt-cinq ou vingt-neuf ans peut-être ? Elle était restée mince et belle jusqu’à ces derniers mois. Mais maintenant, même Bertrade avait du mal à reconnaître dans cette ombre décharnée la jolie femme qu’elle avait été. Et puis, elle avait ces crises de haut mal. Elle crachait, manquait d’avaler sa langue, se roulait par terre en se dénudant et il fallait être plusieurs pour la maîtriser.
    — Bertrade, t’as pas vu ma poupée ?
    La petite voix l’arracha à sa rêverie.
    C’était Clotilde, la fille de Muriel. Elle errait dans la basse-cour, ses vêtements et ses chaussures maculés de boue.
    — Non, ma chérie, fit Bertrade. Mais tu es dans un état !
    — J’aiété pêcher à la douve avec Till.
    — Pêcher avec ta robe et tes jolis chaussons ! Mais où est la Roussette ? Elle ne s’occupe donc pas de toi ?
    — J’sais pas.
    — Je vais voir ta mère, fit la vieille femme. Tu viens avec moi ?
    Le visage de l’enfant se ferma.
    — Non ! J’veux pas.
    — Mais pourquoi tu veux pas ? Cela lui ferait plaisir.
    — D’abord, c’est pas vrai ! Et puis elle fait peur ! Et même elle reconnaît plus personne, pas même Mauger qu’est son préféré.
    Et la fillette partit en courant.
    La vieille nourrice haussa les épaules, se disant qu’il ne servait à rien de la forcer. Elle cala son panier sur sa hanche et repartit, saluant le forgeron et son apprenti au passage. Il fallait encore qu’elle passe récupérer un morceau de savon de saponaire chez les lavandières.

3
    Le soleil allait bientôt atteindre le rebord du monde, abandonnant la lande à la nuit et au silence. À cette heure, plus personne ne marchait sur le mauvais chemin reliant Coutances à l’abbaye de Lessay. Pèlerins et colporteurs savaient les dangers de ces étendues creusées de mares aussi profondes que des lacs, sillonnées de pistes qui ne menaient nulle part ailleurs qu’au coeur de la brume.
    Le jeune berger accéléra le pas, distribuant des coups de bâton à ses moutons. Les bêtes ne protestèrent pas, elles semblaient aussi pressées que leur maître de regagner l’enclos. Au loin apparaissaient les ailes du moulin de Pirou. Sur la plaine aux reflets violines les ombres s’allongeaient. Ici, disaient les vieux, le ciel s’obscurcissait plus vite qu’ailleurs. La nuit, il n’y avait que la mer pour rivaliser de noirceur avec la lande. Il jeta autour de lui un regard affolé. Il voyait déjà les goubelins des récits de veillée le noyer dans un trou menant tout droit aux enfers et à ses spectres.
    Des sarcelles s’envolèrent, le faisant sursauter. Il s’immobilisa, le coeur battant, et ne mit pas longtemps à comprendre ce qui avait délogé les oiseaux. Le sol tremblait sous ses pieds nus et un sourd grondement emplissait le ciel. Les moutons se dispersèrent. Les jambes de l’enfant se dérobèrent sous lui et il tomba à genoux.
    Les cavaliers jaillirent de la brume. Vêtus d’amples manteaux noirs à capuches dont les pans se soulevaient derrière eux comme des ailes de corbeau, ils montaient des destriers scintillants d’argent. Le gamin se couvrit la tête de ses mains, priant Notre-Dame de la Lande de le sauver.
    Il se sentit soulevé
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