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Le peuple du vent

Le peuple du vent

Titel: Le peuple du vent
Autoren: Viviane Moore
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1
    La femme mordit son oreiller, étouffant un cri de douleur. Malgré le froid, elle était en sueur. Elle repoussa la courtepointe qui la recouvrait et contempla avec horreur l’atroce teinte grise de son corps, ses côtes saillantes. Une nouvelle vague de souffrance. Elle se recroquevilla, haletante.
    C’est à ce moment qu’elle aperçut la chimère tapie dans l’ombre. Elle écarquilla les yeux. La bête à buste de femme l’observait, sa queue de serpent enroulée autour de ses larges pattes.
    Elle cria. La tête d’oiseau ne bougeait pas. Des seins ronds pointaient sous le plumage bleuté. La femme gémit, essayant d’appeler à l’aide.
    Un bruit de pas dans le couloir... mais y avait-il un couloir ? Où était-elle ? Un mouvement à l’autre bout de la chambre. La créature avait disparu. Elle eut beau fouiller la pénombre, il n’y avait plus rien que sa cape noire suspendue au clou.
    Sa cape noire. Elle répéta le mot plusieurs fois, arrondissant la bouche, détachant les syllabes, cherchant à se rassurer par ce simple jeu. Comment savait-elle que cette cape lui appartenait ? Et si ce n’était pas une cape ?
    Et d’abord où était-elle ? Elle plissa les yeux. Sa vision s’obscurcissait, parfois tout devenait flou. Peut-être allait-elle devenir aveugle ?
    Un brasero, un coffre, une cheminée... Elle énuméra ce qu’elle apercevait autour du lit.
    Qu’elle ? Elle ? Qui ELLE  ?
    Il lui semblait que tout à l’heure elle savait son nom. Mais plus maintenant.
    Ses idées se brouillaient. Elle avait mal à la tête.
    — Mon nom ? gémit-elle. Quel est mon nom ?
    Même sa voix lui échappait, passant des aigus aux graves, tantôt caverneuse ou nasillarde.
    Un bruit d’ailes. Elle leva les yeux. Au plafond tournoyaient des ombres noires, papillons géants ou chauves-souris. Elle se cacha sous les draps, les coinçant sous son corps pour que les bêtes ne puissent passer.
    Un bruit de porte qui s’ouvre. Elle était trop faible pour retenir les draps qu’une main faisait glisser. Un homme debout près d’elle. Une voix :
    — Comment allez-vous, ma chère ? Mieux, il me semble.
    Il s’était penché et lui baisait les lèvres. Elle essaya de se débattre, mais il arracha draps et courtepointe.
    — Non, Muriel, non ! Pourquoi me fais-tu souffrir ? Ne vois-tu pas combien je t’aime ? Je t’ai aimée dès la première fois où je t’ai vue. Tu n’étais qu’une enfant et déjà si femme ! Si belle !
    Il y avait de la souffrance dans la voix de l’homme. Une souffrance qu’elle ne voulait pas entendre. Elle se recula sur le lit. Se recroquevilla.
    — Est-ce ainsi que tu honores ton seigneur et maître ?
    Elle cria quand il la pénétra. Il allait et venait en elle avec des grognements puis poussa un soupir de bête repue.
    C’était un rêve, l’homme allait disparaître comme la chimère et les papillons géants. Se dissoudre. Qui était-il ?
    À nouveau la voix.
    Il s’était rhabillé. Il détaillait sans gêne son corps nu, ses cuisses écartées. Elle se sentait épuisée... Elle aurait voulu s’enfoncer dans le lit comme dans une eau profonde.
    — Demain, nous partirons vers Pirou, mon amour. Tiens, bois, cela te fera du bien !
    Pirou, il avait dit Pirou ? Il lui écartait les lèvres de force. Elle sentit un liquide tiède, doux-amer, qui coulait dans sa gorge.
    — Non ! protesta-t-elle. Non, je ne veux pas !
    Et elle sombra dans un profond sommeil agité de cauchemars et de soubresauts de douleur.
    Au milieu de ses visions apparut le château de Pirou.
    Construit sur une île au milieu d’un étang creusé dans la roche, protégé par trois douves successives et de solides murailles surmontées de tours de guet, il était si proche de l’océan qu’aux grandes tempêtes, le fracas des vagues emplissait salles et alcôves.
    Elle sourit dans son sommeil.
    Le sable entrait partout, laissant sur les remparts et dans la basse-cour une empreinte dorée et sur toute chose un goût de sel et un parfum d’algues.
    Son souffle se fit plus paisible. La douleur était partie. Elle était revenue au château de son enfance. Elle marchait d’une pièce à l’autre et le sable craquait sous ses pieds nus.

2
    Dix jours avaient passé.
    Muriel, son époux Ranulphe, Mauger et Clotilde, leurs enfants, avaient quitté le manoir de l’Épine et le pays d’Houlme pour regagner le Cotentin et le château de Pirou. Enfermée dans sa chambre, la jeune
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