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Le Pacte des assassins

Le Pacte des assassins

Titel: Le Pacte des assassins
Autoren: Max Gallo
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sentiments et souffrances extrêmes tels que je les rencontrais
dans les documents du sanctuaire. Je m’étais accoutumé au malaise, voire au
désespoir.
    Je rentrais donc, rompant des liens que j’avais
eu tant de mal à nouer, abandonnant Nathalie ou Judith, Marie ou Karine, compagnes
elles aussi vite déçues par mes hésitations, mes contradictions, ce qu’elles
appelaient toutes mes « absences ». Je n’étais pas auprès d’elles, j’avais
hâte de retourner me perdre dans le dédale des événements passés, de m’enfouir
dans cette histoire de sang et de boue, d’injustice, d’espérance et de cruauté.
    Je rentrais.
    Madame Cerato m’accueillait comme un fils
prodigue, m’embrassait, essuyant quelques larmes, marmonnant que Madame la
comtesse, là où elle était, serait heureuse de me savoir de retour.
    — Quand vous êtes absent, monsieur David,
je sens qu’elle souffre comme si elle brûlait en enfer. Les morts sont comme
nous, vous savez, en paix ou en douleur. Il faut s’occuper d’eux comme on
veille sur les vivants.
    J’approuvais, je ne prenais même pas le temps
de dîner et rejoignais le sanctuaire.
    Je n’étais qu’un
drogué en état de manque.
    J’allais d’un rayonnage à l’autre, j’effleurais
du bout des doigts les cartons d’archives ; j’en sortais un, puis le
replaçais. J’avais tant hâte que j’étais incapable de choisir, épuisant mon
désir dans cette hésitation. Au bout de quelques minutes, je n’y résistais plus,
je prenais un carnet, l’ouvrais au hasard, ému de reconnaître l’écriture de
Julia qui m’était devenue familière.
    Elle m’avait expliqué que, jusqu’en 1938, elle
avait réussi à soustraire ses carnets aux fouilles régulières des agents du
NKVD.
    Elle habitait alors à l’hôtel Lux, à Moscou. C’est
là que les Russes logeaient les dirigeants communistes étrangers qui avaient
été contraints à l’exil et ceux qui travaillaient pour le Komintern, l’Internationale
communiste où ils représentaient leur parti. Tous étaient surveillés, suivis
par les agents des « Organes », et certains disparaissaient, mais
personne n’osait s’interroger sur leur sort. Étaient-ils rentrés
clandestinement dans leur pays ou bien pourrissaient-ils dans une des cellules
des prisons de Moscou, la Loubianka, Lefortovo, de Boutirki ou de Sokolniki ?
    Jusqu’à son arrestation et sa déportation en
1938, un an après celle de Heinz Knepper, Julia avait déjoué les pièges et les
filatures du NKVD.
    Elle rencontrait un diplomate italien, Sergio
Lombardo, ami de son frère, le comte Marco Garelli. Elle lui passait ses
carnets qui gagnaient l’Italie par la valise diplomatique, et Lombardo les
remettait à Marco Garelli qui les dissimulait dans le palais de marbre gris de
la Riva degli Schiavoni.
    Avant même que j’eusse songé à l’interroger, Julia
Garelli-Knepper m’avait confirmé que nul n’avait volé ses carnets :
    — Les Russes, bien sûr, et même mon cher
Heinz n’auraient pu me croire capable d’une telle folie. Et si j’avais été
découverte, ils m’auraient condamnée, avec, pour une fois, de bonnes et solides
raisons. Je trahissais les secrets de la Patrie du socialisme ! Heinz
Knepper m’aurait accusée, maudite, répudiée. La morale individuelle, la valeur
des serments, le souci d’être digne de la confiance qu’on vous accorde, tout
cela est étranger aux fanatiques, or même Heinz l’était devenu. Moi, non :
j’étais d’une vieille lignée vénitienne. L’un de mes ancêtres, Vico Garelli, avait
été ambassadeur de la Sérénissime à Constantinople. Il avait disparu corps et
biens dans la grande marée turque en 1453. Mais je suis sûre qu’il s’était
conduit en homme d’honneur, comme mon frère, haut dignitaire fasciste pourtant,
ami du comte Ciano, le beau-fils du Duce, mais capable de cacher sans les avoir
ouverts, sous une dalle du palais Garelli, les carnets de sa folle de sœur, devenue
communiste par amour pour un Juif allemand, cet Heinz Knepper qu’il maudissait
et respectait tout à la fois.
    Elle avait retrouvé
ses carnets en 1945 et je me souviens de l’exaltation qui m’avait saisi quand, lors
de l’un de mes premiers retours à Cabris, inhalant dans le sanctuaire cette
odeur de poussière, âcre senteur d’une Histoire cruelle et enivrante, j’avais
pris au hasard le carnet de l’année 1934 et découvert les renseignements
inestimables qu’il
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