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le monde à peu près

le monde à peu près

Titel: le monde à peu près
Autoren: Jean Rouaud
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parce que ça me
gênait de l’appeler par son sobriquet, il refusa tout net, insistant, moi c’est
La Fouine, depuis tout petit, La Fouine, La Fouine par-ci, La Fouine par-là, hi
hi, tout le monde connaît La Fouine, hi hi, et alors il se faisait plus petit
encore, rentrant la tête dans les épaules, pliant les genoux, comme s’il
cherchait à démontrer qu’il pouvait se faufiler par le trou d’une souris, et
donc, puisqu’il tenait à son surnom, je n’allais pas le contrarier, ce qui fait
que le jour où il m’accompagna à Random, ma mère le salua d’un bonjour monsieur
La Fouine qui le remplit d’aise. S’il vit toujours, c’est-à-dire s’il astique
toujours ses deux ballons, il doit encore raconter l’histoire : tu te
rends compte, monsieur La Fouine, hi hi, tout en serrant un imaginaire nœud de
cravate pour se donner de la tenue, et il exhortait tel joueur à lui donner du
monsieur La Fouine avant de lui passer les ballons, ce qui lui valait de se
faire rabrouer deux fois plus que d’habitude, mais c’était bien le moins, au
nom de notre confrérie, que je lui confie mon violon.
    Il le garda serré contre lui durant tout le match debout sur
le bord de touche, le défendant jalousement des curieux qui lui proposaient de
le sortir de sa boîte afin de voir à quoi il ressemblait, le serrant plus fort
encore contre lui comme une chose infiniment précieuse, comme un enfant tenu au
chaud sous le pan de sa veste, et il serait mort sur place plutôt que de le
lâcher. A ceux-là qui lui lançaient : alors, La Fouine quand est-ce que tu
nous souffles dans ton instrument ? il répondait qu’eux n’avaient qu’à
souffler dans le ballon, ou alors : dis donc, La Fouine, t’as emmené ta
mitraillette pour voler la recette, et lui, pointant la boîte en direction de
l’imprudent moqueur : t’as pas intérêt à approcher, sinon tactactactac. Ça
lui donnait donc de l’importance et de l’esprit, et quand à la fin du match,
après mon but victorieux, il agrippa de sa main libre mon épaule douloureuse,
il était la joie même avec ses épis dressés au sommet du crâne lui donnant un
faux air de Stan Laurel : c’est le violon qui t’as porté chance, hi hi,
t’as bien fait de me le confier, hi hi, c’est le violon, et glissant la boîte presque
aussi grande que lui sous le menton, il entreprit de danser une espèce de
gigue, décollant alternativement ses courtes jambes comme un pantin, avançant
de quelques pas, puis reculant d’autant, tout en dodelinant de la tête :
faudra que tu le ramènes tous les dimanches, on va les faire danser, hi hi, ils
vont voir ce qu’ils vont voir, tout en arrosant le terrain d’une salve
imaginaire.

II
     
     
    Sans Gyf, on ne m’aurait sans doute jamais revu sur les
terrains. Ces retours sont improbables et n’annoncent rien de bon. A de rares
exceptions – Racine peut-être, douze ans après Phèdre, mais en
catimini, chez les demoiselles de Saint-Cyr. Sans Gyf et la solitude des
dimanches. Car on a beau faire, le dimanche est presque toujours décevant, à se
demander si dès le départ il n’y aurait pas un vice de forme, si ça ne
cacherait pas quelque chose, ce repos offert après six jours de labeur forcené.
D’où l’aphorisme gyfien : quand le patronat propose ce genre de cadeau,
les cadences infernales ne sont jamais loin.
    En semaine, vu du pensionnat, on l’attendait pourtant comme
une promesse de salut. La sonnerie électrique qui rythmait la vie du
collège – début et fin des cours, récréations, repas,
coucher – ne donnait le signal de la délivrance que le samedi à cinq
heures. Et pas question de se relâcher avant sous prétexte qu’on commençait à
entrevoir le bout du tunnel. Certains enseignants prenaient même un vif plaisir
après la sonnerie à jouer les prolongations. Et gare à celui qui par un soupir
prononcé, une toux ou la simple consultation de sa montre s’avisait de signaler
un dépassement d’horaire. La sanction tombait, immédiate : devoir pour
l’inconvenant et dix minutes de rallonge pour tout le monde – ce qui
voulait dire le risque pour certains de rater le car et pour d’autres le bac
qui faisait la navette entre les rives de l’estuaire (ceux-là surveillaient en
plus avec inquiétude l’état de la mer, les jours de tempête, dont dépendait la
traversée).
    Gyf, qui était le plus insolent, et donc le plus courageux,
devant ce retard répété, finit un jour par
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