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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers
Autoren: Jean-Paul Desprat
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chevalier, jetant un coup d’œil furtif du côté du notaire, posa un doigt sur ses lèvres pour signifier qu’il fallait patienter.
    – Mais, jarnicoton ! reprit-il en s’emportant, quel est l’âne qui a ce dossier en charge ?… N’y a-t-il point une lettre au crayon dans le coin de cette minute ?
    – Si un Q , bredouilla Victor.
    – Quatrebarbes ! rugit aussitôt Thésut.
    C’était un cri aussi terrible que celui qui avait dû retentir à Mons, lorsque Philippe le Bel était parvenu à rameuter ses troupes ; à Poitiers ou à Pavie, lorsque des rois moins chanceux avaient vu les leurs se débander sans retour.
    Pointant sa canne en avant, le vieux secrétaire du prince, suivi de Victor et du notaire, se rua dans son antichambre, puis, de là, au travers d’un dédale de couloirs et d’escaliers, jusque dans un grenier adossé aux combles de la chapelle où régnait le vieux Hyacinthe de Quatrebarbes, marquis de la Rongère, chevalier d’honneur de Madame et depuis toujours attaché à la maison d’Orléans. C’était une extravagante survivance de temps révolus qui vivait en reclus au fond d’une suite de pièces bizarrement découpées. Il était pourvu d’une figure qu’il aurait pu louer sur un théâtre pour jouer les pères nobles ou les dieux sagaces et affublé d’une perruque qui lui faisait sur le front deux pointes semblables aux cornes de lumière de Moïse. Son costume et son meuble étaient restés ceux de l’époque de Mazarin, le dernier très endommagé par les chats qu’il avait autour de lui en ribambelle et qui avaient fini par constituer toute sa compagnie. Les gens du palais assuraient qu’il sortait après minuit, un grand sac sur l’épaule, lorsqu’il s’était un peu laissé aller à boire, pour traquer ceux d’entre ces malheureux animaux qui erraient par les rues et les rapporter chez lui.
    De fait, pour pouvoir l’approcher, il fallait éviter les chausses-trapes d’une vingtaine de petits pots de lait et d’autant d’assiettes, pleines de foie coupé, répandues sur les tapis. C’est ainsi que Thésut, après avoir rudoyé quelques domestiques, sauté par-dessus quelques chartreux placidement affairés à lisser leurs moustaches, vint s’écrouler, comme s’il allait se désarticuler, sur le bureau du bonhomme qui sommeillait sur une pile de registres.
    – Quatrebarbes !… Qu’avez-vous fait de Clémire et Brandelis de Grandville ?
    – Ah, les chers petits ! miaula le chevalier d’honneur qui, par mimétisme, savait aussi ronronner et ragouler… La voici bien à présent toute ma famille.
    – Vous donner à veiller ces enfants, pesta Thésut, c’était comme charger le Père La Chaise de contrebattre les empiétements du pape ou mademoiselle de Scudéry de se servir d’une arquebuse… Quelle catastrophe êtes-vous allé imaginer de commettre ?
    – Ce sont de bons petits ! de bons petits vraiment ! continuait de soliloquer le vieil homme.
    – Quatrebarbes ! tonna de nouveau le chevalier en roulant des yeux féroces.
    Le vieillard frissonna comme s’il se fût trouvé sous le souffle d’un cyclone. Il recala sa perruque et fixa ses visiteurs avec une expression d’égarement.
    – De lui, dit-il, j’ai voulu faire un prêtre afin qu’il rachète les fautes de son père… On peut dire que j’ai veillé à ce qu’il ne manque de rien : belle maison, domestiques, canonicat pour les revenus et vicariat pour faire carrière… J’entends ici les rumeurs que provoquent ses sermons. Il ira loin ! il ira loin !… J’ai su trouver sa voie… Quant à elle, ah, la coquine !… Figurez-vous que j’ai voulu la marier à notre brave Saint-Pons. Tout était arrangé ; un père n’eût pas mieux fait : une dot confortable, un magnifique hôtel, à deux pas d’ici, que j’avais loué, meublé, truffé de serviteurs. Elle m’a fait le caprice de refuser tout cela en bloc et moi, de devoir congédier les gens, revendre le meuble, rendre la maison, courir partout, malgré mes infirmités, pour demeurer discret… Ah, les enfants ! les enfants !
    Une gracieuse chatte à long poil noir pourvue de grands yeux jaunes, qui avait piétiné longtemps le papier en tous sens avec des marques d’impatience, se prit à sauter lestement sur son épaule.
    – Non ! mademoiselle Zara… Descendez, voulez-vous, sinon monsieur Tigri va être jaloux et vous me causerez bien des ennuis !… Mais je sais bien ce que vous voulez…
    Il sortit de sa poche une
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