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Le Livre De Ma Mère

Le Livre De Ma Mère

Titel: Le Livre De Ma Mère
Autoren: Albert Cohen
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altière Mastique une théière D’un petit air juif. Une vache
noire Danse sur l’armoire D’un air hâtif. Une vache hâve Danse dans la cave
D’un grand air vif. Une vache en dentelles Joue du violoncelle D’un air sensitif.
Une vache arthritique Fait de la gymnastique D’un air rétif. Une vache naine
Rit à perdre haleine D’un air poussif. Une vache écossaise Soupire sur sa
chaise D’un air naïf. Une vache ascète Fait de la trottinette D’un air furtif.
Une vache ardente Saute dans la soupente D’un air massif. Une vache bien-
pensante Suçote de la menthe D’un air actif. Voilà. La douleur, ça ne s’exprime
pas toujours avec des mots nobles. Ça peut sortir par de petites plaisanteries
tristes, petites vieilles grimaçant aux fenêtres mortes de mes yeux.
D’ailleurs, mes vaches, ça n’a pas eu d’effet.
    Et
si on essayait de faux proverbes? Allons-y. Chat échaudé est à moitié pardonné.
Père qui roule craint l’eau froide. Père échaudé vaut mieux que ceinture dorée.
Un rat inverti en vaut deux. Bonne renommée est mère de tous les vices. Je ne
suis pas plus gai. Cette obsession du regard de ma mère dans les yeux attentifs
de ma chatte. Et si on essayait de Dieu? Dieu, ça me rappelle quelque chose.
J’ai eu quelques déconvenues de ce côté-là. Enfin, quand Il sera libre, Il
n’aura qu’à me faire signe.
    Les
poètes qui ont chanté la noble et enrichissante douleur ne l’ont jamais connue,
âmes tièdes et petits cœurs, ne l’ont jamais connue, malgré qu’ils aillent à la
ligne et qu’ils créent génialement des blancs saupoudrés de mots, petits
feignants, impuissants qui font de nécessité vertu. Ils ont des sentiments
courts et c’est pour ça qu’ils vont à la ligne. Faiseurs de chichis,
prétentieux nains juchés sur de hauts talons et agitant le hochet de leurs
rimes, si embêtants, faisant un sort à chaque mot excrété, si fiers d’avoir des
tourments d’adjectifs, tout ravis dès qu’ils ont écrit quatorze lignes, vomissant
devant leur table quelques mots où ils voient mille merveilles et qu’ils
suçotent et vous forcent à suçoter avec eux, avisant les populations de leurs
rares mots sortis, rembourrant de culot leurs maigres épaules, rusés managers
de leur génie constipé, tout persuadés de l’importance de leur pouahsie. La
douleur qui rabâche et qui transpire, la bouche entrouverte, ils n’en
chanteraient pas la beauté s’ils l’avaient connue, et ils ne nous diraient pas
que rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur, ces petits bourgeois qui
n’ont jamais rien acheté à prix de sang. Je la connais, la douleur, et je sais
qu’elle n’est ni noble ni enrichissante mais qu’elle te ratatine et réduit
comme tête bouillie et rapetissée de guerrier péruvien, et je sais que les poètes
qui souffrent tout en cherchant des rimes et qui chantent l’honneur de
souffrir, distingués nabots sur leurs échasses, n’ont jamais connu la douleur
qui fait de toi un homme qui fut.

XX
    Allons,
allons, je ne suis qu’un vivant, moi aussi, pécheur comme tous les vivants. Ma
bien-aimée est dans de la terre, elle se décompose toute seule dans le silence
des morts, dans l’effrayante solitude des morts, et moi je suis dehors, et je
continue à vivre, et ma main bouge égoïstement en ce moment. Et si ma main
dessine des mots qui disent ma douleur, c’est un mouvement de vie, c’est-à-dire
de joie, en fin de compte, qui la fait bouger, cette main. Et ces feuilles,
demain je les relirai, et j’ajouterai d’autres mots, et j’en aurai une sorte de
plaisir. Péché de vie. Je corrigerai les épreuves, et ce sera un autre péché de
vie.
    Ma
mère est morte, mais je regarde la beauté des femmes. Ma mère est abandonnée
dans de la terre où des choses horribles se passent, mais j’aime le soleil et
les cancans des petits oiseaux. Péché de vie. Lorsque, racontant le départ
d’une mère, j’ai dit le remords d’un fils d’être allé vers une Diane le soir
même de ce départ, j’ai décrit cette Diane avec trop de complaisance. Péché de
vie. Ma mère est morte, mais quoi, il suffit qu’en cette radio qui toujours
moud près de moi tandis que j’écris, il suffit que le Danube Bleu se mette à
couler et je ne résiste pas à son charme de piteux aloi et immédiatement
j’aime, malgré mon mal filial, des Viennoises élancées et doucement
tournoyantes.
    Péché
de vie partout. Si la sœur de l’épouse
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