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Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie
Autoren: Marie Bourassa
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vite demi-tour, ses pieds nus et sales ne faisant aucun bruit sur le plancher recouvert d’un pavage polychrome. Car toute cette magnificence ne constituait pas le but réel de sa visite.
    Son vrai refuge ne se trouvait pas dans le lieu trop bruyant qu’il laissait derrière lui. Non, cet endroit-là ne constituait qu’un premier arrêt. Il en avait habituellement besoin pour amasser une dose de courage. Par la suite il devait faire preuve d’une grande détermination pour se rendre là où il désirait aller.
    Au pied de l’escalier en colimaçon menant au clocher qui se trouvait en haut de la tour nord, la foule aujourd’hui devenait clairsemée. Louis s’en réjouit. Dès l’instant où il entreprit de gravir une première volée de marches à toute allure, manquant trébucher à plusieurs reprises, il se mit à ressentir d’angoissants malaises : les murs sombres se refermaient peu à peu sur lui comme des personnages maléfiques et commençaient à l’étouffer. Avant qu’il ne fût parvenu à mi-chemin, il s’écroula avec ce qui restait de son chargement de pain. Il se remit péniblement debout, mais ses genoux ne cessaient de ployer sous lui. Il dut consentir à s’asseoir pour prendre plusieurs grandes respirations. Heureusement, personne d’autre que lui ne circulait dans l’escalier. Rassemblant ce qui lui restait de forces, il se mit à grimper les marches deux par deux en se disant qu’ainsi sa pénible montée finirait deux fois plus vite. Un couple de vieillards grommelant dut se ranger contre le mur pour le laisser passer. Plus haut, il dut ralentir à cause d’un pèlerin boiteux qui s’appuyait lourdement sur sa canne crochue.
    L’escalier menait à la salle haute. Louis ne s’y attarda que le temps de reprendre son souffle, car, en cette fin d’après-midi, elle se peuplait pour la nuit des sans-abri à qui elle servait de lieu d’accueil. Dans un angle de cette pièce qui peu à peu se remplissait de couches rudimentaires, un petit escalier en vis à cage ajourée menait, par l’extérieur, de l’impressionnante galerie des rois d’Israël et de Juda, que Louis confondait avec les monarques de France, à la galerie de la Vierge.
    C’était à partir de là que Louis commençait à se sentir mieux. Il n’étouffait plus et, la plupart du temps, il était le seul à se donner la peine de monter plus haut à cette heure. Au deuxième étage, la galerie de la Vierge, qui reliait les contreforts, l’attendait avec sa terrasse bordée par une balustrade ajourée derrière laquelle les vitraux de la grande rose occidentale s’embrasaient. De part et d’autre, sous chacune des tours, deux baies adjacentes séparées par une colonnette étaient surmontées d’une rose aveugle. À cet endroit, Louis pouvait à nouveau se permettre d’exister. Seul, oublié du monde, il se sentait enveloppé par la rose lumineuse qui palpitait dans son dos. Elle lui communiquait les couleurs dont il se savait dépourvu. Cela lui procurait, hélas trop brièvement, le merveilleux sentiment d’être au centre de quelque chose de magnifique qui se trouvait là juste pour lui. Il ne s’attardait jamais très longtemps sur cette galerie : la rose finissait par lui donner l’impression que Dieu se tenait peut-être tapi juste derrière elle, pour l’épier attentivement. Bien vite, il ne se sentait plus à sa place en ce lieu trop beau. Alors il se détournait sans oser regarder la rose.
    Après avoir gravi la dernière volée des deux cent cinquante-cinq marches qui menaient au troisième étage, Louis déboucha sur la coursive tournant au-dessus de la Grande Galerie. Cette dernière déployait sa délicate arcature ajourée qui reliait les deux tours entre elles. Épaulées par leurs énormes contreforts, c’était à ce niveau qu’elles se détachaient de la façade pour dresser vers le ciel leur silhouette sévère garnie de baies ogivales. À quarante-six mètres du sol, parmi les rangées de gargouilles aux grimaces féroces, Louis se sentait enfin le bienvenu. Les gens n’avaient que dégoût pour les créatures laides, même en pierre, et celles-ci, en réponse à ce rejet, leur vomissaient dessus les rages du ciel. Louis se plaisait à faire comme elles : se penchant entre deux fines colonnettes, il se raclait la gorge et s’amusait à cracher le plus loin possible.
    — C’est bien fait ! criait-il joyeusement en regardant descendre ses crachats jusqu’à ce qu’ils aient
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