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Le Hors Venu

Le Hors Venu

Titel: Le Hors Venu
Autoren: Viviane Moore
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    1
    Mes yeux et ma chair s’étaient accoutumés à la nuit, au froid et à l’humidité du cachot, pourtant, plus les jours passaient plus il me semblait que murs et plafond se resserraient. L’obscurité et la faim ne représentaient rien en comparaison de cette mort lente, de ce sentiment d’ensevelissement qui me gagnait. Enterré vivant, ma seule issue était la mort. Une mort que je ne pouvais pas me donner, juste attendre qu’elle eût raison de moi. C’est du moins ce que je croyais avant ma rencontre avec l’araignée.
    C’était une tarentule noire tachée de rouge. Une araignée venimeuse, de celles dont le poison fait danser la tarentelle à ses victimes... Pourtant, je n’essayai pas de la tuer, songeant que sa morsure serait peut-être un jour une délivrance.
    Elle avait construit dans l’angle du soupirail une sorte d’entonnoir de toile où elle se dissimulait. La moindre vibration la faisait jaillir de sa cachette mais, le reste du temps, elle guettait des proies qui ne venaient pas. J’apercevais ses yeux qui luisaient comme ceux d’un chat au fond de l’orifice. Je l’enviais pour ses talents de tisserand et ses ruses de chasse, mais surtout pour son infinie patience, et je décidai bientôt de l’imiter. Si cet être minuscule arrivait à se contenter de cette vie, pourquoi pas moi ? Je me surprenais à lui parler à mi-voix. Après tout, n’était-ce pas normal puisque nous partagions la même cellule ? Et je fus bientôt sûr d’entendre ses réponses résonner sous mon crâne. Elle m’enseignait l’oubli de mon corps et m’évitait de basculer dans la démence. Grâce à elle, je ne pensais plus à m’évader ou à mourir, je ne hurlais plus en tirant sur mes chaînes, je commençais à regarder ce qui m’entourait. L’examen d’une tache de salpêtre sur le mur me prenait un temps infini, j’y voyais des montagnes et des vallons, des animaux fabuleux, un profil de femme...
    Un mince rai de lumière glissa jusqu’à ma paillasse. Je levai les mains, contemplant mes bras décharnés, les cercles rouges que les fers dessinaient autour de mes poignets et les griffes qui avaient poussé au bout de mes doigts. En quelques mois, j’étais devenu un vieillard. J’essayais de retrouver cette conscience aiguë que j’avais de ma jeunesse et de ma force. Le plaisir que je prenais, quand j’étais aux bains, à contempler les cicatrices qui couvraient mon corps comme autant de marques de morts auxquelles j’avais échappé. Et puis il y avait mon fils... et Théodora. Je repoussais les images qui affluaient, mes larmes coulaient sans que je puisse les arrêter. Le souvenir de qui j’avais été m’était insupportable.
    J’avais décidé d’oublier mon nom. Que voulait-il dire ici ? Du jour où l’on avait pris les miens et où l’on m’avait jeté dans ce cachot, il ne signifiait plus rien pour moi. Mais afin de ne pas disparaître tout à fait, je me raccrochais à mon prénom et je le répétais comme une litanie : Gamaliel, Gamaliel... Qu’allait-on faire de moi, qu’allait-on faire de nous ?
    Après la tentative d’assassinat contre Maion de Bari, et la révolte de ses barons, le roi Guillaume avait perdu le sens. J’avais été conduit avec des dizaines d’autres dans les prisons du palais de Palerme. Il y avait même l’archidiacre de Catane, Asclettin, et le fidèle Simon de Policastro. Les imaginer dans une geôle, maigres, en haillons, la barbe drue, ne me réconfortait pas. Pas plus que ce bruit d’eau que j’entendais parfois sous mes pieds et qui me rappelait celui des torrents de mon enfance. Je ne savais d’où il provenait, mais il semblait si proche que parfois je rêvais que j’allais périr noyé.
    2
    Des mois que les alertes se succédaient, que les bruits les plus incroyables couraient dans Palerme : mort du pape Adrien IV, couronnement de Robert II de Loritello, bataille avec les chevaliers de Geoffroi de Montescaglioso... Depuis que Guillaume I er avait vaincu les barons rebelles dans Butera et qu’il était parti reconquérir les Pouilles, battant l’armée byzantine, mettant Brindisi à feu et à sang et marchant vers la Campanie, les rumeurs de ses victoires mais aussi des dangers qu’il courait ne cessaient de parvenir au palais où la reine et ses familiers attendaient en vain son retour.
    La garde du palais normand était en alerte, les rondes incessantes dans l’arsenal, sur les quais et dans les entrepôts du
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