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Le héron de Guernica

Le héron de Guernica

Titel: Le héron de Guernica
Autoren: Antoine Choplin
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surtout, faites en sorte qu’on me laisse tranquille quelques minutes.
    Comptez sur moi, a dit l’homme à la casquette en quittant la salle.
    Le silence s’est fait à nouveau et pour la première fois, Basilio a baissé les yeux.
    Un bon moment, Basilio et le deuxième homme sont restés parfaitement immobiles, Basilio légèrement devant et assez nettement sur sa droite.
    Le regard de Basilio s’est relevé vers le tableau, à peine, avant de se baisser à nouveau.
    Après, l’homme s’est déplacé dans son dos, latéralement.
    Une fois vers sa droite, puis de retour à sa place initiale.
    Et puis, il a fait un ou deux pas vers l’avant et Basilio a deviné sa silhouette aux confins de son champ de vision. Il a remarqué ses pieds s’écartant un peu, comme pour se donner une meilleure assise. Il a imaginé ses bras croisés, le menton prisonnier, peut-être, de l’une de ses paumes.
    Basilio a tenté de lever les yeux vers le tableau.
    À nouveau, il y a eu cette brûlure à la nuque et il a dû s’en tenir à cette position de pénitent.
    L’homme a continué d’avancer, centimètre par centimètre.
    Jusqu’à se retrouver là, à côté de Basilio, à se toucher les épaules.
    Basilio a éprouvé un embarras curieux, moins causé par la proximité de l’homme que par celle de l’œuvre contemplée ensemble.
    D’un coup d’œil furtif, il a aperçu le visage de l’homme absorbé par le spectacle de Guernica.
    De temps à autre, l’homme a lancé vers Basilio des regards rapides et dépourvus de consistance.
    Peu après, il a fixé le carton à dessins de Basilio posé à même le sol. Il a dodeliné de la tête et Basilio a cru voir passer un sourire sur son visage.
    Et puis, toujours collé à Basilio comme s’il cherchait lui aussi à occuper cette position centrale en face du tableau, il a continué à explorer la toile.
    Au bout d’un moment, Basilio éprouva le confort de ce silence entre eux.
    L’homme lui facilitait la tâche, affectant malgré sa proximité une grande indifférence à son égard, visiblement absorbé par des préoccupations supérieures liées au tableau et à sa présentation, ce qu’on pouvait comprendre.
    Du coup, Basilio finit par relever la tête et lui aussi, plongea une fois encore le regard dans le tableau.
    Il ne distingua qu’à peine les déplacements de l’homme, effectués pourtant juste devant lui, au plus près de l’œuvre, d’un bord à l’autre.
    Après quoi, l’homme revint se placer à côté de Basilio et lorsqu’il fut à nouveau immobile, la pointe de ses souliers vernis mordait sur le bord du carton à dessins posé au sol.
    À la longue, quelque chose finissait par lui prendre le derrière des yeux, à Basilio, lui imposant par instants de clore les paupières. Et aussi, sa tête s’agitait de tremblements, ténus et incontrôlables.
    Ses jambes fléchirent et en un lent mouvement, il s’accroupit. Ses coudes se posèrent sur ses cuisses et ses mains s’empoignèrent l’une l’autre.
    Basilio aurait pu mettre son carton à l’écart, ou tout au moins à sa droite pour ne pas gêner l’homme qui se tenait là, juste contre son flanc gauche.
    De même, l’homme aurait pu choisir de se tenir de l’autre côté, sur la droite de Basilio et ainsi, ne pas avoir à se soucier de l’espace occupé au sol par le carton de Basilio.
    Le carton sur lequel tombait de plus en plus fréquemment le regard de l’homme.
    Ce que Basilio, pris dans les tentacules du tableau, l’arrière des yeux mangé par des milliers de fourmis rouges, n’était pas en mesure de remarquer.
    Pas plus qu’il ne remarqua le regard de l’homme tourné, depuis le haut, vers lui, vers Basilio.
    Puis vers le carton à dessins.
    Et puis encore vers lui.
    Et puis balayant, par intermittence et à grands traits, l’espace de la toile.
    Mais revenant de plus en plus souvent vers le carton.
    Et vers l’œil aigu et souffrant de Basilio.
    Et Basilio, de sa main gauche, plus précisément, du pouce et de l’index de sa main gauche, attrapa le carton à dessins et se mit à le pincer de toutes ses forces, sans lâcher Guernica du regard.
    Il vit la pointe des souliers vernis de l’homme qui reculait d’un petit pas.
    Il songea au héron.
    À sa reculade à lui, dans le lointain de la roselière.
    À sa blessure silencieuse.
    Au sang écoulé, irisant la surface du marais.
    Au sang écoulé et volé par lui, Basilio.
    Non pas recueilli.
    Volé.
    Histoire
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