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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade)
Autoren: Henri Barbusse
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contraire, ça les excite, observe Lamuse. Plus t'es dégueulasse, plus tu cocotes, plus t'en as !
    – Et c'est heureux, poursuivit Biquet, qu'ils m'ont réveillé en m'emboucanant. Comme je l'racontais tout à l'heure à c'gros presse-papier, j'ai ouvert les carreaux juste à temps pour me cramponner à ma toile de tente qui fermait mon trou et qu'un de ces fumiers-là parlait de m'grouper.
    – C'est des crapules dans c'129-là.
    On distinguait, au fond, à nos pieds, une forme humaine que le matin n'éclaircissait pas et qui, accroupie, empoignant à pleines mains la carapace de ses vêtements, se trémoussait ; c'était le père Blaire.
    Ses petits yeux clignotaient dans une face où végétait largement la poussière. Au-dessus du trou de sa bouche édentée, sa moustache formait un gros paquet jaunâtre. Ses mains étaient sombres, terriblement : le dessus si encrassé qu'il paraissait velu, la paume plaquée d'une dure grisaille. Son individu, recroquevillé et velouté de terre, exhalait un relent de vieille casserole.
    Affairé à se gratter, il causait néanmoins avec le grand Barque qui, un peu écarté, se penchait sur lui.
    – J'suis pas sale comme ça dans l'civil, disait-il.
    – Ben, mon pauv' vieux, ça doit salement t'changer ! dit Barque.
    – Heureusement, renchérit Tirette, parce qu'alors, en fait de gosses, tu f'rais des petits nègres à ta femme !
    Blaire se fâcha. Ses sourcils se froncèrent sous son front où s'accumulait la noirceur.
    – Qu'est-c' que tu m'embêtes, toi ? Et pis après ? C'est la guerre. Et toi, face d'haricot, tu crois p't'être que ça n'te change pas la trompette et les manières la guerre ? Ben, r'garde-toi, bec de singe, peau d'fesse ! Faut-il qu'un homme soye bête pour sortir des choses comme v'là toi !
    Il passa la main sur la couche ténébreuse qui garnissait sa figure et qui, après les pluies de ces jours-ci, se révélait réellement indélébile, et il ajouta :
    – Et pis, si j'suis comme je suis, c'est que j'le veux bien. D'abord, j'ai pas d'dents. Le major m'a dit d'puis longtemps : « T'as pus une seule piloche. C'est pas assez. Au prochain repos, qu'il m'a dit, va donc faire un tour à la voiture estomalogique. »
    – La voiture tomatologique, corrigea Barque.
    – Stomatologique, rectifia Bertrand.
    – C'est parce que je l'veux bien que j'y suis pas t'été, continua Blaire, pisque c'est à l'œil.
    – Alors pourquoi ?
    – Pour rien, à cause du changement, répondit-il.
    – T'as tout du cuistancier, dit Barque. Tu devrais l'être.
    – C'est mon idée, aussi, repartit Blaire, naïvement.
    On rit. L'homme noir s'en offusqua. Il se leva.
    – Vous m'faites mal au ventre, articula-t-il avec mépris. J'vas aux feuillées.
    Quand sa silhouette trop obscurcie eut disparu, les autres ressassèrent une fois de plus cette vérité qu'ici-bas les cuisiniers sont les plus sales des hommes.
    – Si tu vois un bonhomme barbouillé et taché de la peau et des frusques, à ne le toucher qu'avec des outils, tu peux t'dire : c'est un cuistot, probab' ! Et tant plus il est sale, tant plus il est cuistot.
    – C'est vrai et véritable, tout de même, dit Marthereau.
    – Tiens, v'là Tirloir. Eh ! Tirloir !
    Il approche affairé, flairant de-ci, de-là ; sa mince tête, pâle comme le chlore, danse au milieu du bourrelet de son col de capote beaucoup trop épais et large. Il a le menton taillé en pointe, les dents de dessus proéminentes ; une ride, autour de la bouche, profondément encrassée, a l'air d'une muselière. Il est, selon son ordinaire, furieux, et, comme toujours, il rousse :
    – On m'a fauché ma musette, c'te nuit !
    – C'est la relève du 129. Où c'que tu l'avais mise ?
    Il désigne une baïonnette fichée dans la paroi, près d'une entrée de cagna :
    – Là, pendue à c'cure-dents qu'est planté ici là.
    – Ballot ! s'écrie le chœur. À la portée de la main des soldats qui passent ! T'es pas dingue, non ?
    – C'est malheureux, tout de même, gémit Tirloir.
    Puis, tout d'un coup, il est pris d'une crise de rage ; sa face se chiffonne, furibonde, ses petits poings se serrent, se serrent, comme des nœuds de ficelle. Il les brandit.
    – Alors quoi ? Ah ! si je tenais la carne qui me l'a faite ! Tu parles que j'y casserais la gueule, que j'y défoncerais le bide, que j'y… Y avait dedans un camembert pas entamé. J'vas encore chercher.
    Il se frictionne le ventre du poing, à
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