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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté
Autoren: Patrick Rambaud
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s’installait. Les Directeurs s’étaient partagé les responsabilités pour se voir le moins possible et ne plus s’insulter au lieu de travailler. Carnot se retrouva naturellement à la Guerre, Barras à l’Intérieur, Rewbell aux Affaires étrangères, Delormel aux Finances, et comme ils se croisaient déjà trop à leur goût, ils s’étaient partagé les logis et les jardins. Si Delormel continuait à résider dans son hôtel des Deux-Portes-Saint-Sauveur, Barras s’était attribué d’office le premier étage du palais, avec la galerie de Rubens pour y recevoir sa cour. Les autres se débrouillèrent au Petit-Luxembourg où ils vécurent de façon plus austère. Carnot construisit un pavillon en forme de tente militaire, La Révellière une chaumière sous les arbres; il s’y retirait pour jouer de la flûte et enseigner l’italien à sa fille Clémentine, sinon il partait discuter botanique avec les frères Thouin qui organisaient le Jardin des Plantes; le dimanche en famille, le plus frugal des Directeurs s’en allait cueillir des fleurs et des herbes à Andilly, et il revenait en charrette. Les Pentarques, ainsi surnommait-on les cinq Directeurs, s’ils s’évitaient désormais avec soin, se rencontraient encore aux dîners officiels, mais ils prenaient garde de ne rien dire, on n’entendait guère que la voix des maîtres d’hôtel qui présentaient les vins.
    Les premières décisions concernèrent le décorum. Barras voulait frapper les esprits et que les nouveaux gouvernants aient de l’allure. Il chargea le peintre David d’inventer des costumes dans le genre antique pour bien désigner les attributions de chacun. Les Anciens allaient enfiler une longue toge bleue et se poser sur le crâne une toque en velours, mais ils échappèrent à cette panoplie : les fâcheuses robes furent saisies à Lyon parce que les étoffes provenaient de Londres. Les Cinq-Cents, également menacés d’un déguisement, attendaient surtout qu’on leur aménage la salle du Palais-Bourbon. Les mieux empanachés et les plus vite servis furent les Directeurs eux-mêmes; le peintre David s’était surpassé en leur concoctant un costume d’apparat. Barras en était enchanté puisqu’il était capable d’endosser avec élégance des parures invraisemblables. Ses collègues rechignaient, sauf Delormel, ébloui quand il l’essaya la première fois devant les longs miroirs posés contre les murs de son salon d’honneur. Sur une tunique bleue il portait un manteau à l’espagnole orange, surchargé de broderies en or et de glands, un baudrier, un glaive romain, des bouffettes aux escarpins. Le tailleur et ses aides le complimentaient mais il souhaitait l’avis de ses proches et appela son majordome :
    — Nicolas !
    — Monsieur ? dit le larbin.
    — Va chercher Madame.
    — Il est bien tôt et elle doit dormir...
    — Tu la réveilles, l’affaire est importante, tout de même! Crois-tu que je vais l’impressionner? Dépêche-toi, je veux son sentiment.
    — Vous êtes à la fois sublime et majestueux, citoyen Directeur, dit le maître tailleur. N’est-ce pas, vous autres ?
    — Sublime et majestueux, répétèrent les commis.
    — Vraiment ? dit Delormel.
    — Vraiment, répondirent-ils d’une même voix.
    — Vous dites cela pour me flatter.
    — Pas un instant, citoyen Directeur, et avec le chapeau vous serez au-dessus du commun.
    — Donnez-le-moi.
    Le tailleur tendit le chapeau de feutre noir à large ganse tricolore que surplombaient, comme un parasol, des plumes d’autruche peintes aux couleurs de la République. Ainsi coiffé, Delormel provoqua les exclamations des commis :
    — Cela vous va à merveille!
    — Imposant !
    Rosalie entra dans le salon en frottant ses yeux ensommeillés ; elle s’était drapée à la va-vite dans un voile, sans souliers, sans bijoux, sans poudre sur le visage, les mèches noires en dispute. Saint-Aubin la suivait, lui aussi en chemise et la mine boudeuse.
    — Admirez l’art de ce costume de Monsieur David, leur dit Delormel, les poings aux hanches.
    Rosalie se mit à pouffer. Saint-Aubin dut la tenir dans ses bras pour qu’elle ne tombe pas de rire sur le tapis; il la déposa dans un fauteuil où elle continua à s’esclaffer. Son mari était indisposé par l’insolence. Le tailleur et sa troupe, prudents, se retirèrent à reculons.
    — Ma pauvre Rosalie! voilà tout l’effet que ma nouvelle dignité t’inspire!
    — Ouiiii ! eut-elle la force de répondre
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