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Le Chant des sorcières tome 1

Le Chant des sorcières tome 1

Titel: Le Chant des sorcières tome 1
Autoren: Mireille Calmel
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de son bureau, la grande abbesse avait suivi des yeux le pas des deux visiteurs et compris à leur figure de quoi il retournait.
    — Courez prévenir sœur Aymonette, avait-elle ordonné sèchement.
    — Mais vous allez les empêcher de se battre, n'est-ce pas ?
    — Sachez qu'il n'est rien de plus obtus que deux hommes à l'orgueil bafoué, ma fille. Tout ce que nous pouvons faire pour eux, c'est prier…
    Philippine était ressortie de là aussi essoufflée que terrifiée. Mais elle l'avait été plus encore lorsque, sous les hauts murs crénelés, elle avait entendu leurs épées s'entrechoquer.
     
    Le déluge qui s'abattait à présent sur la contrée royannaise avait emprisonné l'abbaye de Saint-Just-de-Claix dans de précoces ténèbres. N'osant allumer de bougie pour ne pas courroucer davantage l'abbesse par quelque initiative, Philippine plaquait en visière ses mains contre la croisée de l'antichambre où elle patientait. Son regard désespéré fouillait le rideau de pluie derrière la vitre embuée par son souffle. La jouvencelle y frotta sa manche puis reprit sa posture dans une ultime et muette prière. Face à elle, de l'autre côté de la cour intérieure, Philippine devinait sœur Albrante, l'infirmière de la communauté, penchée au-dessus des duellistes. Elle refusait de les croire morts. Par deux fois, au long de ces minutes qui s'égrenaient dans le carcan de sa solitude, cette idée l'avait rattrapée. Elle en avait perdu la respiration, hoquetant, s'étouffant de panique, tremblant de tous ses membres tandis qu'un vertige la forçait à s'accroupir, le front contre le mur de pierre. Il lui avait fallu trouver en elle la force de s'apaiser, consciente que l'abbesse la fustigerait plus sévèrement encore si elle la découvrait ainsi. Philippine s'était reprise.
    La pluie se calmait tandis que le roulement du tonnerre s'éloignait. Elle ne tarderait plus à être fixée sur son sort et le leur. Elle se prit à espérer l'arrivée de l'abbesse et plus encore sa punition, certaine que seul son propre sang répandu pourrait exorciser celui qu'elle avait fait verser.
    La porte s'ouvrit enfin, puis se referma dans le dos de Philippine, amenant dans la pièce une brassée d'air chargé d'odeur de tourbe. Elle s'arracha à sa méditation pour se tourner vers l'abbesse qui venait d'entrer.
    — Suivez-moi, ordonna celle-ci après avoir fait glisser de ses épaules pour le suspendre le mantel dont elle s'était protégée.
    Dans sa main droite, la lanterne qu'elle avait apportée vacilla, promenant des lueurs fantasques sur les murs. Philippine suivit leurs méandres le long du corridor, écoutant résonner ses pas sur les dalles comme un glas.
    La révérende mère déposa son falot dans une niche prévue à cet effet, à droite de la porte de son bureau. C'était là que la jouvencelle avait fait irruption quelques heures plus tôt, l'interrompant dans la rédaction de son courrier. Le parchemin qu'elle avait commencé à couvrir de son écriture se trouvait encore sur sa table de travail. L'abbesse contourna le meuble et s'installa derrière, laissant Philippine refermer la porte avant de lui faire face, les mains jointes et tremblantes.
    L'abbesse la considéra un instant sans la moindre indulgence, puis se radoucit.
    — Vous souvenez-vous de votre mère ? demanda-t-elle enfin, brisant ce silence qui pesait au-dessus de leurs têtes.
    La question prit Philippine au dépourvu. En un instant pourtant sa mémoire accrocha des yeux sombres dans un élégant visage aux traits réguliers, une chevelure tressée et ramenée en chignon sous la coiffe, un sourire qui bombait des pommettes rosées. Une bouffée de tendresse réchauffa Philippine, repoussant les affres de ses tourments.
    — Comment l'aurais-je oubliée ? répondit-elle sans malice.
    — Vous venez pourtant de le faire, mon enfant, rétorqua l'abbesse d'un ton accusateur.
    Philippine sentit ses jambes se dérober. Elle s'obligea pourtant à rester droite et digne. Elle savait que rien ne lui serait épargné.
    — C'est dans ces bois, alors qu'elle venait me visiter, que des malandrins s'en sont pris à son équipage. Dans cet hospice qu'elle a agonisé, ajouta la religieuse.
    Philippine tourna machinalement les yeux vers la croisée.
    — Savez-vous pourquoi elle vous a confiées, vous et vos sœurs, à ma garde ?
    Philippine secoua la tête, la gorge nouée d'un sanglot, assaillie par d'autres images : sa mère transpercée
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