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Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante
Autoren: Matthew Pearl
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au pied des balustres. Par la fenêtre ovale du salon, elle aperçut au loin, bien au-delà du jardin paysager, là où le terrain déclinait pour devenir pâture, bois, champ aride et enfin berge de rivière, un curieux nuage qui ressemblait à un essaim de mouches. Elle s’en fut inspecter les lieux.
    Des mouches étaient bel et bien rassemblées au-dessus d’un monticule, et une odeur pestilentielle émanait de ce tas. S’arrêtant en chemin pour redresser une brouette, Nell sentit les larmes lui monter aux yeux. Ces miasmes lui rappelèrent le veau que les Healey avaient permis au garçon d’écurie d’élever dans la propriété. Mais cela, c’était il y a beau temps. Des années s’étaient écoulées depuis que le veau et le garçon d’écurie avaient abandonné Wide Oaks à son éternité immuable.
    Les mouches étaient de cette nouvelle variété à œil de feu découverte dans la maison. Il y avait aussi des frelons jaunes mais surtout, plus nombreuse encore que la gent ailée, une masse de petits granulés blancs pétillants de vie, des asticots au dos pointu qui se tortillaient les uns contre les autres. Non, qui faisaient bien plus que cela, qui sautaient et plongeaient au cœur de la foule, se forant un passage en direction d’un festin. Mais lequel ? Sur quoi reposait donc cette affreuse et grouillante montagne blanche ?
    L’une des extrémités du tas se relevait en une sorte de buisson fait de cheveux châtain et ivoire. Au-dessus, un chiffon blanc en loques, attaché à un bâton, flottait dans la brise indécise.
    Impossible à Nell Ranney de nier l’existence de ce qu’elle avait sous les yeux. Pourtant, dans sa terreur, elle priait le ciel pour que la chose ensevelie fût bien le veau du garçon d’écurie. Incapable de détourner son regard, elle fixait la chair nue, le dos large et légèrement creusé vers le bas, les fesses énormes et laiteuses qui émergeaient du grouillement blafard, les jambes trop courtes, disproportionnées, largement écartées. Un bloc compact de mouches, de centaines de mouches, se déplaçait en cercles au-dessus du corps, telle une garde protectrice. À l’autre bout du tas, l’arrière de la tête disparaissait sous des larves blanches. Des milliers de larves blanches et non plus des centaines.
    D’un coup de pied, Nell écarta un nid de guêpes. Ayant entassé le corps nu dans la brouette, elle remonta le pré et le jardin, tantôt poussant, tantôt tirant, puis traversa le vestibule. Arrivée au cabinet de travail du juge, elle déversa son chargement sur une montagne de dossiers et prit la tête de son maître sur ses genoux. Par poignées, des vers gouttèrent du nez, des oreilles et de la bouche ouverte. Elle s’appliqua à arracher les larves luminescentes qui recouvraient le crâne. Les bestioles roulées en boule étaient chaudes et moites. Elle s’en prit ensuite aux mouches à œil de feu qui l’avaient suivie à l’intérieur, les chassant du plat de la main ou les jetant l’une après l’autre à travers la pièce, non sans les avoir amputées de leurs ailes dans un accès de vengeance inutile.
    Ce dont elle fut ensuite le témoin lui arracha un hurlement assez puissant pour être entendu à l’autre bout de la Nouvelle-Angleterre. Deux gars accourus de l’étable voisine la découvrirent rampant hors du bureau, en larmes, incapable de se contrôler.
    « Qu’y a-t-il, Nellie, que se passe-t-il ? Par Jésus, vous n’êtes pas blessée au moins ? »
    C’était en apprenant de sa bonne que le juge avait gémi avant de mourir dans ses bras, que la veuve s’était élancée hors de la maison pour jeter le vase à la tête du chef de la police. L’idée que son mari fût resté en vie pendant quatre jours, même en n’étant qu’à demi conscient, était plus qu’Ednah Healey ne pouvait en supporter.
    Sa prétendue connaissance de l’identité du meurtrier devait se révéler assez imprécise.
    « C’est Boston qui l’a tué ! dirait-elle à Kurtz plus tard dans la journée, lorsqu’elle aurait enfin surmonté ses tremblements. Cette horrible ville tout entière l’a dévoré vif. »
    Elle insista pour être conduite auprès du corps.
    Les assistants du coroner s’étaient échinés trois heures durant pour retirer les larves de tous les endroits du cadavre où elles s’étaient nichées. Ils n’y étaient parvenus qu’en tranchant les minuscules cornets qui leur tenaient lieu de gueule. Le corps présentait
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