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Le cercle de Dante

Le cercle de Dante

Titel: Le cercle de Dante
Autoren: Matthew Pearl
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importance, même si le juge ne le lui avait jamais signifié par une remontrance ou par un geste impatient.
    Voilà pourquoi elle était revenue le lundi. Ce jour-là, elle avait découvert une première éclaboussure près du garde-manger – une tache rouge desséchée – puis une autre, au pied de l’escalier : une traînée, cette fois. Un animal blessé avait dû s’introduire dans la maison et en ressortir, se dit-elle.
    Elle aperçut ensuite une mouche sur le rideau du salon et la chassa par la fenêtre à grand renfort de bruyants clappements de langue et de moulinets avec son plumeau. Mais tandis qu’elle polissait la longue table d’acajou, voilà que l’insecte réapparut. Les filles de cuisine nouvellement engagées avaient dû négliger de nettoyer les miettes, se dit-elle. Ah, elles ne se souciaient guère de propreté, ces filles de couleur, seulement de l’apparence ! Mais aussi, que pouvait-on attendre de la contrebande ? Ce terme venait toujours à l’esprit de Nell Ranney quand elle pensait à ces femmes récemment libérées de l’esclavage.
    La mouche bourdonnait avec des crépitements de locomotive Nell l’extermina à l’aide d’une North-American Review roulée dans le sens de la hauteur. Aplati, l’animal faisait à peu près deux fois la taille de ses congénères, en tout cas des mouches que l’on trouve habituellement à l’intérieur des maisons, et il portait trois raies noires d’égale largeur en travers de son abdomen bleu vert. Quelle drôle de bobine ! pensa Nell Ranney. À coup sûr, sa tête aurait fait l’admiration du juge Healey avant qu’il ne la jetât dans la corbeille à papier. Les yeux proéminents, d’un orange vibrant, mesuraient presque la moitié du torse. La bizarre teinte corail, rouge peut-être, ou entre les deux, tirait aussi sur le jaune et le noir. Une couleur cuivrée, se dit-elle, qui vibrait comme le feu.
    Nell revint le lendemain matin pour nettoyer à l’étage. Elle s’apprêtait à entrer dans la maison quand une de ces mouches passa comme une flèche au ras de son nez. Outragée, elle empoigna un de ces journaux épais que lisait le juge et se permit de la poursuivre dans l’escalier d’honneur, elle qui utilisait toujours celui des domestiques, même lorsqu’elle était seule dans la maison. Mais la situation exigeait bien une entorse aux préséances. S’étant déchaussée, elle posa un pied léger sur l’épais tapis qui recouvrait les marches et courut à la suite de l’intruse jusque dans la chambre à coucher de ses maîtres.
    La mouche avait des yeux de braise bizarrement saillants Cambrée tel un cheval prêt à se lancer au galop, elle avait quelque chose de véritablement humain dans l’expression en cet instant – le dernier où elle eût connu un peu de paix, se souviendrait Neil Ranney dans les années à venir.
    Elle se jeta en avant et abattit la revue sur la fenêtre et la mouche. Ce faisant, son pied heurta un drôle d’objet par terre. En équilibre sur une jambe, elle resta un moment à le fixer avant de se décider à le saisir du bout des doigts. Ce ne fut que pour le lâcher aussitôt, ayant reconnu dans cet arc de cercle des dents destinées à une mâchoire supérieure. Elle se figea sur place, comme si son immobilité pouvait censurer l’impolitesse dont elle s’était rendue coupable.
    Ce dentier, fabriqué avec un soin d’artiste, le juge Healey l’avait commandé à un spécialiste de New York dans le souci d’offrir de lui-même une vision plus imposante quand il siégeait au tribunal. Il en était si fier qu’il expliquait sa provenance à qui voulait l’entendre, sans se rendre compte que la vanité ayant inspiré pareil expédient eût dû lui interdire tout débat sur le sujet. Un peu trop étincelantes, ces dents donnaient à qui les regardait l’impression de contempler un soleil estival serti entre deux lèvres. Du coin de l’œil, Nell nota une épaisse flaque de sang coagulé sur le tapis et, à côté, une pile de vêtements soigneusement pliés. Des vêtements qui lui étaient aussi familiers que son tablier blanc, sa jupe à fronces et son chemisier noirs pour y avoir exécuté maints travaux d’aiguille aux poches et aux manches. Car le juge ne s’adressait à M. Randridge, l’exceptionnel tailleur de School Street, qu’en cas d’extrême nécessité.
    Redescendant l’escalier, la femme de chambre nota des éclaboussures de sang enfouies dans les poils du tapis,
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