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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois
Autoren: Francis Perrin
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me
permit de me hisser pierre par pierre le long d’une muraille pour me glisser
par la fine ouverture ébrasée d’une croisée et trouver refuge dans le recoin
d’un long couloir, suant et haletant comme un chien ayant couru le cerf durant
une longue chasse. C’est à cet endroit que, quelques heures plus tard, frère
Barthélémy me trouva endormi et prit soin de ma pitoyable personne.
    Les moines m’adoptèrent, me nourrirent ; j’avais un endroit
pour dormir, j’aidais aux tâches domestiques, je n’assistais aux prières que
selon mon bon vouloir, je circulais en toute liberté dans le monastère sous des
regards bienveillants sans pitié ni jugement.
    Grâce à frère Barthélémy, je sus en un rien de temps lire et
écrire, tant ma soif d’apprendre était intarissable. Il m’enseigna également le
latin qui me permit de dévorer de nombreux ouvrages de l’imposante bibliothèque
du monastère. Je me familiarisai aussi avec la foi en Dieu, acceptant enfin
d’être une de ses créatures et non pas une quelconque incarnation du diable
mais en gardant tout de même une certaine distance vis-à-vis du dogme
catholique.
    J’avais disparu de la vie de la population des faubourgs de
Blois et chacun remerciait le Ciel de l’avoir délivré du bossu maléfique. Mes
frères et sœurs étaient juste heureux de pouvoir se partager une part
supplémentaire de lard et mon père continuait d’arroser sa délivrance en
doublant les pintes de clairet qui rongeaient son estomac comme ver au fruit. Ma
mère, depuis ma disparition, avait abandonné ses injonctions quotidiennes
destinées à ourdir les plus mauvais sorts contre moi. Elle se sentit soulagée
d’avoir chassé la malédiction que le Ciel lui avait envoyée pour l’avoir
surprise, jupe retroussée, dans un champ voisin chevauchée par un autre que mon
père. Elle consacrait maintenant ses dévotions à la bonne Vierge Marie, mère de
Dieu, et la suppliait instamment de prier pour elle et « pour nous,
pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi
soit-il ! ».
    Ma mère exprima une telle ferveur dans ses prières que notre
Bonne Dame l’exauça sans tarder. Elle mourut deux mois plus tard dans d’atroces
souffrances à la suite d’une épidémie de peste noire qui ravagea la
« bonne ville » de Blois, emportant du même coup mes deux sœurs et
mon frère cadet, épargnant miraculeusement mon frère aîné, gaillard si robuste
que l’abondance de muscles ne laissait aucune place à une petite once de
cervelle.
    Mon père les suivit de peu, expirant au petit matin sur le
plancher graisseux d’un estaminet, la panse explosée, répandant une odeur de
vinasse qui avait depuis longtemps remplacé le sang de ses veines.
    On considérait alors qu’à sept ans on atteignait l’âge de
raison. Pour moi, ce fut l’âge de déraison qui ne me quitta jamais. Étant à
l’abri du monde extérieur dans cette abbaye, n’étant plus la proie des
quolibets et des maltraitances, ayant accepté le méchant cadeau que m’avait
fait la nature en me « difformant » si parfaitement, j’avais décidé
de mettre en valeur mes infirmités. Je pensais que c’était un bon moyen de les
faire oublier.
    J’en jouerais, j’en surjouerais même. Mes handicaps, au lieu
de me rabaisser aux yeux de tous, me serviraient d’élévateurs. J’avais tant de
pensées, d’idées que je voulais exprimer tout à la fois, mes paroles se
pressaient tellement au sortir de ma bouche que je butais sur certaines
syllabes, ce qui me donnait une diction hachée qui prêtait à sourire. Je
trouvais grande satisfaction à dérider les moines. Possédais-je l’inconsciente
aptitude de pouvoir divertir ? J’accentuais ma démarche claudicante, je me
courbais de manière que mon dos ne soit plus qu’une énorme bosse et
j’agrémentais la gaucherie de mes cabrioles d’onomatopées amphigouriques.
    C’est suite à ces pitreries quotidiennes que l’on m’affubla
du sobriquet de Triboulet qui vient du vieux mot français tribulé , triboulé ou tribouillé qui signifiait secoué, agité, brouillé, mis sens dessus
dessous.
    On utilisa même mon nom comme expression courante. J’avais
passé tant d’heures à observer les moines, à les détailler que je pouvais avec
précision les singer dans leur démarche ou dans leur comportement, ce qui les
amusait fort. Ils en venaient à chercher le plus souvent ma compagnie quand les
travaux et les offices
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