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Le bouffon des rois

Le bouffon des rois

Titel: Le bouffon des rois
Autoren: Francis Perrin
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et aux proches venus aider ma mère à mettre bas. À
mettre au plus bas, devrais-je dire. Mon père a repris illico presto le
chemin du cabaret. Il avait enfin une véritable excuse pour noyer son chagrin
dans le vin clairet qu’il savait faire couler à flots pour remplir l’outre de
son estomac.
    Certains affirment que chacun vient au monde dans la pureté
la plus parfaite, que la notion du péché originel est une ânerie, une invention
de curé. J’ai dû faire exception à cette règle.
    Ma mère s’est toujours demandé quelle mauvaise action elle
avait pu commettre pour qu’on lui envoie ce cadeau du diable. D’autres, tels
mes sœurs et frères aînés, ont eu droit durant leur enfance à force caresses
dans les tendres bras de leur mère, moi, ma mère était devenue experte en
harangues frénétiques émaillées de phrases obscures et menaçantes dont elle
m’abreuvait bien plus que de lait maternel.
    Mon père ne manquait jamais une occasion de me cogner sur le
dos avec tout ce qui lui tombait sous la main, histoire de me dresser et
peut-être avec le secret espoir de me redresser. Toutes ces marques d’affection
ne me portèrent pas à être casanier et la maison familiale devint très vite
l’endroit où je ne rentrais plus que tard dans la nuit quand tout le monde
ronflait et d’où je repartais dès que le jour pointait. Au-dehors, je ne
trouvais ni franche convivialité, ni regards de compassion. Les adultes
prenaient bien soin de ne pas croiser mon chemin ou se signaient sur mon
passage ; quant aux gamins du hameau, ils s’en prenaient sans cesse à moi,
me poursuivaient en hurlant des quolibets humiliants et me jetaient des pommes
de pin quand ce n’était pas des cailloux. Je leur échappais en trouvant refuge au
plus haut d’un arbre et je me débarrassais de leur présence en leur pissant
dessus. Ils s’enfuyaient dare dare en me maudissant et en gueulant que j’étais
trop bête pour vivre ailleurs que dans les arbres comme mes compères les
singes. Cette assimilation peu flatteuse découlait de mon physique particulier
qui ne s’arrangeait pas avec l’âge. En effet, plus je grandissais, plus ma
bosse enflait sur mon dos, mon nez morveux coulait sur ma bouche baveuse comme
champignon à l’automne et j’avais les jambes torses, ce qui me donnait une
démarche simiesque.
    Le regard des autres me gênait moins que le regard que je
portais sur moi-même lorsque j’avais le malheur d’apercevoir dans un miroir le
reflet de ma disgrâce. Que de questions alors se bousculaient et faisaient tempête
sous mon gros crâne difforme ! Pourquoi ma dérisoire présence dans ce
monde ? Pourquoi ne me laisse-t-on jamais en paix ? Pourquoi ce
plaisir cruel de persécuter ceux qui n’entrent pas dans le critère de la
normalité ? Pourquoi l’être soi-disant humain trouve-t-il grande
satisfaction à se gausser d’un malheureux ? Pourquoi la différence
produit-elle ces attitudes sans pitié, lourdes de reproches mêlés de peur et de
dégoût ? Pourquoi ne pas laisser en paix ceux que l’on considère comme
simples d’esprit ?
    Je ne comprenais pas ce rejet systématique qui m’interdisait
le droit de vivre comme tout le monde. Je me trouvais pourtant bien plus doué
et bien plus malin que les tas de bouseux de mon âge qui ne s’exprimaient qu’en
patois rugueux et dont la plus grande occupation était de mordre à pleines
dents en arrachant le cou des poules vivantes, de crier au renard pour que les
paysans accourent et de m’accuser, moi, pauvre bougre débile, pour que l’on
m’attrape et que je sois fouetté à leur place.
    Un jour que j’étais descendu de mon arbre pour m’enfoncer au
plus profond de la forêt, un domaine qui ne m’était point hostile, je m’amusai
à déchiffrer le vol des mouches pour dénicher des truffes, quand, au détour
d’une clairière la bande de va-nu-pieds qui me harcelait sans répit me tomba
dessus pour me rosser d’importance et, m’arrachant mes guenilles, tenta de
m’attacher nu au tronc d’un chêne. Je me débattis si violemment que j’en
assommai deux ou trois en hurlant plus fort que Stentor lui-même. Mes jambes
trouvèrent alors miraculeusement une vélocité inhabituelle qui me permit de
distancer mes poursuivants tout en rage de n’avoir pu accomplir leur forfait.
    Sortant de la forêt, je traversai d’une traite un champ de blé
qui bordait l’enceinte d’un monastère. Mon agilité à grimper aux arbres
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