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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe
Autoren: E.M. Remarque
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ciel.
    Le chauffeur du taxi se retourna vers Ravic.
    « A-t-on jamais vu ça ?
    –  Il était dans son droit. Il avait la priorité.
    –  Avec un chapeau pareil, conduire à cette allure dans la nuit ! »
    Ravic renversa la tête en arrière. « Du café, pensa-t-il. Du café noir bouillant. Pourvu qu’ils en aient assez ! Il ne faut pas que mes mains tremblent, sinon Veber devra me faire une piqûre. Mais je crois que tout ira bien. »
    Il baissa la glace et respira profondément l’air humide.

 
CHAPITRE II
     
     
     
    U NE lumière éblouissante inondait la petite salle d’opération, qui rappelait une boucherie hygiénique. Des seaux remplis d’ouate maculée de sang. Çà et là des bandages et des tampons. Des taches d’un rouge éclatant qui tranchait vivement sur tout ce blanc. Assis devant une table d’acier poli, dans l’antichambre, Veber prenait des notes. Une infirmière stérilisait les instruments. L’eau bouillait. La lumière semblait bourdonner tant elle était intense. Seul, le corps humain sur la table semblait détaché et souverain, ne prenant plus part à rien.
    Ravic fit couler le savon liquide sur ses mains ; il se lavait avec un acharnement furieux, comme s’il eût voulu s’arracher la peau. « M… alors ! Chienne de vie ! »
    L’infirmière s’interrompit dans son travail et le regarda d’un air froissé. Veber leva la tête.
    « Tous les chirurgiens jurent, ma chère Eugénie. Surtout si quelque chose ne va pas. Vous devriez en avoir l’habitude. »
    L’infirmière plongea une poignée d’instruments dans l’eau bouillante.
    « Le professeur Perrier ne jurait jamais, répliqua-t-elle d’un ton digne. Et pourtant il a sauvé la vie à bien des gens.
    –  Le professeur Perrier était un spécialiste du cerveau. Travail extrêmement subtil, Eugénie. Nous, nous travaillons dans le ventre. C’est autre chose. »
    Veber referma son carnet et se leva.
    « Vous avez fait de votre mieux, Ravic. Mais que voulez-vous ? Il n’y a rien à faire contre ces charlatans. »
    Ravic s’essuya les mains et alluma une cigarette. Avec un air de silencieux reproche, l’infirmière ouvrit la fenêtre.
    « Bravo, Eugénie, dit Veber. Le règlement avant tout.
    –  J’ai mes responsabilités. Je n’ai pas envie que la maison saute.
    –  C’est très louable, ma chère et très rassurant.
    –  Il y a des gens qui n’ont pas de responsabilités… et des gens qui ne veulent pas en avoir.
    –  Attrapez, Ravic, c’est pour vous, dit Veber en riant. Tenez, nous ferions mieux de nous en aller. Eugénie est toujours d’humeur agressive au petit jour. Du reste, nous n’avons plus rien à faire ici. »
    Ravic se tourna vers l’infirmière qui soutint son regard avec fermeté. Les lunettes à monture nickelée donnaient à son visage un air inapprochable. Elle était un être humain, comme lui, mais elle lui paraissait plus étrangère qu’un arbre.
    « Excusez-moi, dit-il. Vous avez parfaitement raison. »
    Sur la table blanche gisait le corps qui tout à l’heure, était animé par l’espoir, la respiration, la souffrance, la vie palpitante et n’était plus qu’un cadavre rigide. Eugénie, l’automate humain infaillible, le recouvrit d’un drap et l’emporta. Ce sont ceux-là qui survivent toujours, songea Ravic. La mort n’aime pas les âmes pétrifiées, elle les oublie et leur permet de durer.
    « Au revoir, Eugénie, dit Veber. Reposez-vous bien aujourd’hui.
    –  Merci, docteur. Au revoir, docteur Veber.
    –  Au revoir, dit Ravic. Excusez mon langage.
    –  Au revoir », répondit Eugénie sur un ton glacial.
    Veber sourit. « Un sacré caractère tout de même ! »
    Dehors, un jour triste se levait. Les camions à ordures roulaient avec fracas dans les rues. Veber releva son col.
    « Quel temps abominable ! Je vous dépose, Ravic ?
    –  Non, merci, je préfère marcher.
    –  Par un temps pareil ? Ça ne me dérange pas de vous déposer, c’est presque sur mon chemin. »
    Ravic secoua la tête. « Je vous remercie, Veber.
    –  Je m’étonne, dit Veber, que vous soyez aussi bouleversé chaque fois qu’un patient meurt sous le couteau. Il y a pourtant plus de quinze ans que vous faites ce métier. Vous devriez en avoir l’habitude ! »
    Veber, en face de Ravic, avait un air satisfait et confortable. Son gros visage rond luisait comme une pomme. Sa petite moustache noire bien taillée brillait sous la pluie. Sa
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