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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe
Autoren: E.M. Remarque
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des nuages. L’homme serra le poing et fit jouer ses muscles. La femme se mit à remuer sur les nuages avec un déhanchement obscène.
    « Va pour les bleues », dit Ravie.
    Le garçon sourit.
    « Il nous reste peut-être un paquet de vertes », dit-il en s’éloignant d’un pas traînant.
    « Des pantoufles rouges et ce tatouage au bras ! Il a dû servir dans la marine turque. »
    La femme posa ses mains sur la table, d’un geste si définitif qu’il semblait qu’elle ne les relèverait jamais. Les mains étaient assez soignées, mais cela ne prouvait rien. Elles n’étaient d’ailleurs pas tellement soignées. Un des ongles de la main droite était cassé et elle n’avait pas pris la peine de le limer. Par endroits, le vernis commençait à s’écailler.
    Le garçon revint avec les verres et un paquet de cigarettes.
     « Voilà des gauloises vertes. J’en ai tout de même trouvé un paquet.
    –  À la bonne heure ! Vous avez servi dans la marine ?
    –  Non… dans un cirque.
    –  C’est encore mieux ! »
    Ravic tendit un des verres à la femme.
    « Tenez, buvez ça. À cette heure-ci, c’est encore ce qu’il y a de mieux. Auriez-vous préféré du café ?
    –  Non.
    –  Avalez d’un trait. »
    Elle obéit et vida son verre. Ravic l’observa. Elle avait un visage incolore, presque inexpressif, les lèvres charnues mais pâles, aux contours indécis. La chevelure, seule, était belle, d’un blond naturel lustré. Elle portait un béret et, sous son imperméable, un tailleur bleu marine qui devait provenir d’une bonne maison. Mais la pierre verte de la bague était beaucoup trop grosse pour être véritable.
    « Un autre ? » demanda Ravic.
    Elle acquiesça.
    Il rappela le garçon.
    « Deux autres calvados. Dans des grands verres.
    –  Des grands verres ? Avec plus de calvados dedans ?
    –  Bien entendu.
    –  Alors, c’est deux doubles calvados ?
    –  On ne peut rien vous cacher. »
    Ravic décida de vider son verre rapidement et de s’en aller. Il était très fatigué, et maintenant l’ennui venait s’ajouter à la lassitude. D’ordinaire, en pareilles circonstances, il se montrait plus patient. Il avait derrière lui plus de quarante ans d’une existence riche en aventures. Il vivait à Paris depuis plusieurs années, et souvent le sommeil le fuyait : cela vous donne l’occasion de voir bien des choses !
    Le garçon revint avec les verres. Ravic prit l’alcool et le déposa devant la femme.
    « Buvez. Ça n’aide pas beaucoup, mais ça réchauffe. Quel que soit votre chagrin, ne le prenez pas trop à cœur. Rien ne vaut la peine d’être pris si sérieusement. »
    La femme le fixa. Elle ne but pas tout de suite.
    « C’est vrai, insista Ravic. On exagère tout. Surtout la nuit. »
    La femme le regardait toujours.
    « Vous n’avez pas besoin de me réconforter, dit-elle.
    –  Alors, tant mieux. »
    Des yeux, Ravic chercha le garçon. Il en avait assez. Il connaissait le genre. « Elle est probablement russe », pensa-t-il. À peine assis, avant même que leurs vêtements ne soient secs, ces gens-là deviennent arrogants.
    « Vous êtes russe ? questionna-t-il.
    –  Non. »
    Il régla l’addition et se leva. Elle se dressa en même temps que lui. Elle le fit tout naturellement. Ravic hésita un instant, puis pensa : « Bon, autant la quitter dehors. »
    La pluie s’était remise à tomber. Sur le trottoir, Ravic s’arrêta.
    « De quel côté vous dirigez-vous ? »
    Il était décidé à prendre la direction opposée.
    « Je ne sais pas. N’importe où.
    –  Mais où demeurez-vous ? »
    La femme eut un mouvement de recul. Elle dit d’une voix troublée : « Je ne veux pas y retourner… Non, je ne veux pas ! »
    Ses yeux s’étaient soudain emplis d’épouvante.
    « Elle a eu une querelle, pensa Ravic. Elle a eu une querelle et elle est partie. D’ici demain, elle aura réfléchi. Elle retournera. »
    « N’y a-t-il personne chez qui vous pourriez aller ?… Des connaissances ? Vous pourriez leur téléphoner d’ici.
    –  Non… Personne.
    –  Mais il faut pourtant que vous alliez quelque part ! Avez-vous de l’argent ? Pouvez-vous prendre une chambre à l’hôtel ?
    –  Oui.
    –  Dans ce cas cherchez un hôtel, ce n’est pas cela qui manque dans le quartier. »
    Elle ne répondit pas.
    « Il faut que vous alliez quelque part, insista Ravic avec impatience. Vous ne pouvez pas
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