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L'Amour Courtois

L'Amour Courtois

Titel: L'Amour Courtois
Autoren: Jean Markale
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lui comme pour celles qui se
sont faites ses complices.
    Donc Ignauré, chevalier breton tout à fait dans les normes
de la courtoisie, beau, brave et bien instruit, plaît aux femmes. Au lieu de se
contenter d’une dame, il en a douze, qu’il célèbre chacune à leur tour. Mais chacune de ces douze femmes ignore qu’il y a partage
de l’amour. Or, un jour, les douze femmes se trouvent réunies et décident de
jouer au jeu de la confession. L’une d’elles tient le rôle du prêtre. C’est
ainsi qu’elles apprennent qu’elles ont un amant unique, Ignauré. Furieuses, comme
on le conçoit aisément, elles décident de tuer l’imposteur. Mais celui-ci a l’art
de la plaidoirie : il sait si bien présenter sa défense que les douze
femmes se laissent fléchir. Il devra seulement choisir une parmi les douze et s’en
tenir là, ce qui se réalise effectivement. Mais un lausengier a été témoin de tout cela, et moyennant une forte récompense, il dévoile aux
douze maris ce qui s’est passé. Les maris, après en avoir délibéré, se
saisissent d’Ignauré, le châtrent et le tuent. Ils invitent alors leurs femmes
à un repas et leur font manger le cœur et les parties sexuelles d’Ignauré, leur
révélant ensuite ce qu’était réellement le mets qu’elles ont dévoré. Les douze
femmes déclarent qu’elles n’ont jamais rien mangé de meilleur et qu’elles ne
mangeront désormais rien d’autre. Et elles se laissent mourir de faim.
    Cette histoire tragique se réfère au même thème que la légende
bien connue du Châtelain de Coucy et de la Dame de Faël. En réalité, le thème
du « cœur mangé » est répandu un peu partout et a connu un grand
succès au cours du Moyen Âge. Il est en rapport certain avec l’échange
symbolique des cœurs, cérémonie étrange qui se faisait parfois lorsque deux personnes
– homme et femme –, après avoir constaté qu’elles s’aimaient mais que leur
amour était impossible, décidaient de s’engager par serment mutuel à s’aimer de
façon entièrement spirituelle. Le « cœur mangé » en est le reflet
concret et dramatisé, avec en plus, des résurgences d’anciens usages d’anthropophagie
érotique. Et si le thème a été exploité dans des histoires de vengeance
maritale, c’est surtout parce qu’il correspondait, de manière entièrement
symbolique, à cet « échange des cœurs », l’un des plus hauts sommets
de la problématique amoureuse avant l’apparition de la fin’amor .
    Dans le cas du Lai d’Ignauré ,
cependant, le thème du cœur mangé n’est pas le seul. Il y a d’abord les parties
sexuelles de l’amant, et que se partagent les dames. La sexualité fait donc
irruption dans le thème primitif qui concernait seulement le spirituel, et en
modifie complètement la portée. La communion animique devient alors une
véritable communion au sens catholique du terme : les douze dames, comme
les douze apôtres, se partagent le cœur et le sexe de l’amant comme s’il s’agissait
du corps et du sang du Christ. C’est une Cène que nous décrit le Lai d’Ignauré , mais avec des connotations presque
sacrilèges : la messe noire n’est pas loin, et la Vie éternelle promise
par le Christ à ceux qui boivent et mangent est maintenant un Amour éternel
dans la mort. On retrouve ici le liebestodt romantique et wagnérien. Le problème est qu’il y a malédiction sur tout cela, et
cette malédiction provient du mensonge et de l’hypocrisie de l’amant. Si
Ignauré n’avait pas menti à douze dames, le secret de son amour avec une seule
dame n’aurait pas été ébruité, et il n’y aurait eu aucune conséquence fâcheuse :
le couple courtois eût été normal et le secret qui doit obligatoirement l’entourer
absolument préservé. C’est donc le mensonge et l’hypocrisie d’Ignauré qui
déclenchent la tragédie. La moralité de cette histoire est très claire : on
ne peut aimer qu’une seule dame, et corollairement, une dame ne peut aimer qu’un
seul amant. Le partage – qui ne joue pas en fonction
du mari – est intolérable en fonction de l’amant ou de la maîtresse.
    Mais il y a autre chose dans le Lai
d’Ignauré , quelque chose d’essentiel pour la compréhension de la fin’amor . En effet, qui dévore le cœur et le sexe de l’amant ? Les dames. Auraient-elles
donc des points communs avec la terrifiante vision de la Mère dévoreuse et
castratrice ? Si la déesse « fait entrer l’homme
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