L'amour à Versailles

toutes celles qui espèrent, les plats durent être bien acides et les propos amers.
    Louise est une modeste qui préfère l’intimité au luxe. Elle n’aime pas le scandale et le parfum du soufre, les lettres anonymes qui circulent, toujours plus méchantes, mais toujours plus vraies, lui font horreur. Elle est aussi assez pieuse et le célèbre sermon de Bossuet, bien qu’adressé au roi, n’est pas sans effet sur elle :
    « Soyez fidèle à Dieu et n’y mettez point obstacle par vos péchés. Élevez-vous contre la fausse galanterie et contre ces passions délicates que l’on appelle les vices des honnêtes gens. (…) C'est là que la parole divine doit faire un ravage solitaire en brisant toutes les idoles, en renversant tous les autels où la créature est adorée. »

    Louise tremble, se signe puis se refuse, Louis n’en a que faire et s’amuse avec Anne-Lucie La Mothe-Houdancourt qu’il prend pour maîtresse, puisque Louise préfère au foutre royal les foudres divines. Louis XIV la rejoint le soir dans le vivier de Mme de Navailles, chargée de surveiller les filles d’honneur. Anne-Lucie pourrait aussi bien s’appeler Lucifer tant elle aime braver les interdits. La demoiselle d’honneur n’a pas beaucoup de vertu et se prête aux acrobaties les plus diaboliques. Le château de Saint-Germain est ainsi fait qu’il n’a rien semblé de plus commode que de loger toutes les filles d’honneur à l’étage. Imaginez un grenier rempli de jeunes femmes délurées, dont l’aînée n’a pas vingt-cinq ans : que de délices et que de tentations ! Louis les entend gazouiller au-dessus de sa tête. Là-haut, sous les plafonds de Saint-Germain, il y a Anne-Lucie avec laquelle il est sûr de perdre son temps avec plaisir, mais aussi Louise qu’il espère reconquérir, et tant d’autres grâces qui ne demandent qu’à être royalement dévergondées.Mais il abrite toujours Mme de Navailles, cerbère autoritaire qui ne se laisse plus amadouer par grand-chose. Quelques années plus tôt, elle lui a déjà barré la route du paradis, en mettant des verrous à la volière. Anne d’Autriche l’en avait félicitée. Elle réitère : prétextant des gouttières trop larges, elle fait venir des grilles pour les placer aux fenêtres. C'est oublier que le roi a grandi non seulement en force, mais en autorité : désormais c’est lui qui décide. Les grilles, un matin, sont retrouvées au milieu de la cour. Le soir, à souper, Louis XIV évoque avec perfidie des « esprits » qui auraient miraculeusement déplacé les grilles. L'assemblée rit de bon coeur, Mme de Navailles aussi, mais quelque temps plus tard, elle et son époux sont disgraciés.
    Comment se cacher des uns et des autres, satisfaire ses désirs et respecter la discrétion de Louise à laquelle il reste attaché? L'affaire est délicate, la chasse une opportunité délicieuse, d’autant que Louise est une cavalière experte. En attendant que le château qu’il construit pour eux soit prêt, il l’invite à des parties de chasse sur les terres qu’elle habitera bientôt, à Versailles. Louise, que l’on représente souvent en Diane chasseresse, monte en amazone, nue sous ses jupes, selon la mode de l’époque.
    Les deux cavaliers hors pair abandonnent la meute, et se retrouvent, hagards et solitaires, dansune des petites clairières des bois versaillais. La forêt qui entoure le bourg est alors sauvage, tout en vieux hêtres, en chênes et en broussailles, frémissante d’animaux. La hauteur des arbres est telle qu’il y fait sombre même en plein midi. L'endroit est plein de fleurs des champs à offrir, de buissons accueillants, d’herbes folles qui s’insinuent dans les vêtements et qu’il faut aller ôter. Plus de grilles, plus de verrous, plus de sermons, maternels ou religieux, ils sont enfin libres et peuvent s’adonner aux plaisirs de la solitude, quand elle est au pluriel. Au loin, on entend la chasse sonner l’hallali ou les ouvriers employés à creuser les bassins ou à tailler les pierres pour le nouveau château. Si, au retour, Louise est un peu décoiffée, qu’elle a les joues un peu rouges, les yeux agrandis et que son coeur bat la chamade, c’est que l’exercice lui a fait du bien.
    Entre sa femme, sa favorite et les nombreuses occasionnelles, le monarque se retrouve bientôt à la tête d’une progéniture grandissante qu’il lui faut loger. Louis a d’abord essayé de masquer sa descendance illicite.