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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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deux siècles. J’ai essayé de
retrouver les lieux où il avait mis les pieds, et je m’y suis rendu.
J’ai passé des centaines d’heures à fouiller, et à fouiller encore.
Des centaines d’heures à lire des archives pour m’intéresser à
deux ou trois lignes qui l’auraient concerné. J’ai imaginé ce
que Furcy aurait pu faire, ce qu’il avait pensé. Je crois qu’à
force de m’approcher de lui, de passer du temps en sa compagnie, j’avais l’impression d’entendre sa voix intérieure. D’être
tout proche de lui. Quand j’ai découvert ses sept lettres, ça peut
paraître naïf mais j’ai été saisi d’émotion, fini le silence, il me
parlait directement. Il vous parlait directement. Il parlait, enfin. Les informations que j’ai pu rassembler se trouvaient de
façon parcellaire dans les différents documents, certains étaient
difficiles à lire, d’autres pratiquement impossibles à dénicher ;
j’ai mis trois ans à découvrir le jugement de la Cour de cassation qui scellait le sort de Furcy : il n’était pas dans les archives
mises aux enchères. Furcy a beau s’être rendu au tribunald’instance, puis à la cour d’appel et, enfin, à la Cour de cassation (après le renvoi), on ne sait presque rien de lui. Ce n’est
pas comme une fiche d’identité qui aurait pu être recoupée par
un greffier ou un magistrat. Il n’y en avait pas, personne n’a
songé à le faire. J’ai lu de nombreux comptes rendus de procès, datant du
début du XIX e siècle, et même avant. On trouve beaucoup plus
d’informations sur un accusé ou un plaignant dans un simple
jugement. Pour peu qu’il ne soit pas esclave, on connaît tout de
lui, son identité dans les moindres détails. Quant à Furcy, j’ai
longuement cherché avant de trouver sa date et son lieu de naissance — et, encore, il n’est écrit nulle part qu’il est né à Saint-Denis, on a dérobé ses papiers. Si en 1817, il a trente et un ans,
je suppose qu’il a vu le jour en 1786, j’ai recoupé avec d’autres
informations sur d’autres documents, cela correspond ; sa mère
avait alors vingt-sept ans. C’est extraordinaire le temps qu’il
m’a fallu pour regrouper tous ces renseignements. D’habitude,
quand on veut mieux saisir le caractère d’un homme, on
remonte à son enfance comme si ses premiers actes pouvaient
révéler sa vie d’adulte. Pour Furcy, je ne connais rien de son
enfance, rien sur son père et si peu de chose sur sa mère. En revanche, concernant Mme Desbassayns, par exemple,
née le 3 juillet 1755, on sait tout de ses neuf enfants, leur lieu
et leur date de naissance, leurs multiples prénoms, on sait
même qu’elle a donné naissance à des enfants mort-nés, que
trois autres, nommés, n’ont pas atteint leur deuxième mois
d’existence. S’agissant de Constance, née un quart de siècle
après Mme Desbassayns, on ne sait rien de ses enfants. Rien. J’étais, aussi, non pas surpris, mais curieux de l’existence
d’une rue Desbassayns, à Saint-Denis. C’est une rue assez
longue, et plutôt agréable. J’ai voulu savoir s’il existait une rue
dédiée à un esclave. La réponse a été instantanée : non ! Il n’ya que depuis la fin des années 1980 qu’on a commencé à
songer à donner à des rues un nom d’esclave, des rues qui se
trouvent dans des quartiers modestes. Il existe un îlet du nom de Furcy, une minuscule île dans les
montagnes sur la route de Cilaos. J’y suis allé en pensant que,
peut-être, c’était un lieu dédié à Furcy, une sorte d’hommage...
On ne sait rien de ce village inaccessible, il est relié au monde
par un tout petit pont qui n’admet qu’un seul véhicule à la fois.
Il n’y a pas de maire, l’îlet dépend administrativement de la
commune de Saint-Louis située à une trentaine de kilomètres.
Je m’y suis rendu. Personne, ni guide touristique ni service
culturel n’a été en mesure de m’expliquer la provenance du
nom, s’il existait un lien avec « L’affaire de l’esclave Furcy ».
Rien. D’ailleurs, je ne pense pas que ce village hors du monde lui
soit dédié. On m’a parlé d’un autre Furcy, qui aurait dénoncé
une révolte et permis de la mater. Or, comme l’îlet à Cordes
(encore plus inaccessible, puisque on ne pouvait s’y rendre
que muni de cordes), les esclavagistes offraient ces terres
arides ou sans intérêt aux esclaves qui les avaient aidés à tuer
dans l’œuf toute rébellion.

40
    Il y a sans
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