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L'affaire de l'esclave Furcy

L'affaire de l'esclave Furcy

Titel: L'affaire de l'esclave Furcy
Autoren: Mohammed Aïssaoui
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doute des erreurs dans mon récit et par ailleurs
j’ai pris quelques libertés avec les procédures, raccourcissant
certaines étapes judiciaires, par exemple en n’évoquant pas les
procès du renvoi à la Cour de cassation ; les documents eux-mêmes contenaient des dates différentes et les faits ne se
recoupaient pas toujours. Il y a sans doute des anachronismes.
Toutefois j’ai essayé d’être au plus près d’une vérité, et j’ai
cherché à comprendre comment un homme avait tenté de s’affranchir. À force de « vivre » avec Furcy, j’ai épousé sa cause,
je me suis mis de son côté, j’ai vécu ses défaites. Sa victoire,
aussi, si tardive soit-elle. J’ai surtout été attiré par cet homme,
son combat. J’ai admiré sa détermination, son obstination, sa
patience. J’ai eu le sentiment irrationnel que c’était lui qui
m’avait appelé pour le tirer du silence. En revisitant son histoire, j’ai compris tout ce qu’il avait pu
apporter. Par la voie judiciaire, il avait brisé plus de chaînes
que s’il avait fui ou mené une révolte. Grâce à lui j’ai su que
c’est le souci de l’autre qui fait avancer le monde. Je suis intimement convaincu que Furcy a choisi d’aller au bout de sa
démarche car il était conscient que son cas dépassait sa personne. Il a agi pour les autres, Boucher, Sully-Brunet, GodartDesaponay, Thureau, sa sœur, sa mère, et tous les abolitionnistes ; tous ces hommes ont, eux aussi, agi pour les autres, ils
l’ont fait souvent au détriment d’eux-mêmes, de leur famille,
de leur carrière... Dans « L’affaire de l’esclave Furcy », il y a
des Justes, Gilbert Boucher, bien sûr, Sully-Brunet, Desaponay
et beaucoup d’autres, notamment ces avocats qui ont pris
d’énormes risques et ont signé des plaidoiries qui méritent de
figurer dans les manuels scolaires. Sans eux, le procès n’aurait
jamais abouti, il n’aurait pas même commencé. Sans eux,
Furcy serait encore dans les souterrains de l’Histoire, enfermé
dans le silence. Je ne veux pas juger assis dans mon fauteuil, je suis admiratif des gens comme Gilbert Boucher qui ont eu le courage de
dépasser leur époque et de penser au-delà. Je n’ai pas à calomnier les personnes comme Desbassayns de Richemont ou
Joseph Lory, ils étaient ancrés dans leur temps, et défendaient
leurs intérêts. Qu’aurais-je fait à leur place ? Sans doute rien
de mieux, ou de pire. D’ailleurs, j’ai hésité, fallait-il conserver
les noms réels de mes « personnages », ou les dissimuler sous
une identité fictive ? Après tout, ai-je le droit d’exposer des
patronymes dont les descendants directs vivent encore ? Et
moi ? Dans ma généalogie, il a pu exister des négriers, des trafiquants d’esclaves, des profiteurs d’un système ignoble : les
Arabes et les musulmans ont été parmi les pires esclavagistes,
pourquoi ne me suis-je pas engagé dans cette voie ? Car, dans
cette histoire-là, dans mon histoire, il y a des silences aussi. De
grands silences. Sommes-nous responsables de nos pères ? En mal. Ou en
bien. J’ai longtemps fui cette question : pourquoi cette histoire de
l’esclave Furcy a-t-elle résonné si fort en moi, et résonne-t-elleencore ? Où faut-il aller chercher les clés pour comprendre ? Je
n’ai pas le début d’une réponse. Il paraît que l’on met dans un
livre ce qu’on ne peut pas dire, mais qu’ai-je voulu dire ? Sinon
l’extravagante patience d’un homme à devenir libre, sa détermination hors normes. Je crois que c’est le silence que je voulais dénoncer, cette
absence de textes et de témoignages directs sur tout un pan
d’une histoire récente. Cette absence de recherches, d’archéologie. Seuls quelques universitaires ont tenté de briser ce
silence. On en sait plus sur le Moyen Âge que sur l’esclavage.
La phrase de l’universitaire Hubert Gerbeau, « L’histoire de
l’esclavage est une histoire sans archives », est tellement juste.
Je suis effaré par la quasi-inexistence des archives, leur
éparpillement quand elles existent, le peu de témoignages
des victimes, l’effacement progressif des traces écrites. On
découvre de nombreux exemples de carnets de chasseurs d’esclaves, de comptes rendus d’esclavagistes ; ils sont nécessaires,
il faut les montrer, mais on peut regretter qu’il existe si peu de
témoignages des personnes asservies. Et pourtant, de Furcy,
j’ai aimé ses silences. Ces silences qui ont été
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