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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange
Autoren: Arlette Cousture
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n’y avait
que lui pour se faire trébucher dans la mort.
    Elle courut en pleurant jusqu’à l’arbre qui
leur avait donné de l’ombre et l’étreignit, la joue collée contre l’écorce.
Wilson, sa chemise blanche tachée de rouge, vint vers elle et, indifférent aux
regards des autres voyageurs, la couvrit de tout son corps, resserrant son
étreinte derrière l’arbre et posant ses mains sur les siennes.
    – C’est fini.
    Elle sanglota, le front toujours collé à
l’arbre. De son bel index d’ébène, Wilson lui caressa le cou, juste sous le
lobe de l’oreille, et lui murmura de laisser sa peine s’accrocher aux branches.
    – Souffle, mademoiselle Élise, souffle ta
vie sur l’arbre et aspire la sienne.
    Elle ferma les yeux en hoquetant, en disant
que cet arbre était plus vivant que son père.

– 1 –
1958
     
     
    Le portier essuya avec un mouchoir à pastilles
rouges sa moustache figée par des glaçons, puis leur sourit de toutes ses dents
propres et droites. Il aida Blanche à s’extirper du taxi tandis qu’Élise se
glissait sur la banquette derrière elle et que Micheline, n’en faisant qu’à sa
tête, sortait du côté de la circulation de la rue Sherbrooke, sous les
invectives du chauffeur.
    – C’est ça, organise-toi pour qu’on
m’arrache une porte ! Des plans pour que je me les gèle !
    Le portier pressa le pas devant les trois
clientes pour ouvrir la porte du Ritz-Carlton. Blanche laissa passer son aînée
devant elle avant de s’engouffrer dans le hall tandis que Micheline échappait à
la tempête par les portes tournantes. Elles secouèrent les paillettes de neige
dont étaient saupoudrés leurs manteaux, qu’elles abandonnèrent au vestiaire.
    L’argenterie de la salle à manger brillait
sous l’éclairage des lustres. Élise et Micheline feignirent toutes deux d’être
de vieilles habituées, sous le regard amusé de leur mère qui connaissait bien
ces lieux pour les avoir fréquentés d’abord avec son amie Marie-Louise au début
des années trente, puis avec Clovis qui avait continué de l’y emmener pour ses
anniversaires. Ils y avaient toujours mangé en tête-à-tête, mais en réservant
invariablement une troisième place pour son amie disparue. Clovis, respectueux
de ce rituel, portait un toast à Blanche, après quoi leurs verres choquaient
celui qui se trouvait devant la place inoccupée de Marie-Louise et qu’ils
avaient rempli.
    Ce soir, les filles s’étaient fait un point
d’honneur d’y souligner son anniversaire en l’invitant à y manger le dessert.
    – Quand Élise sera mariée à un homme
riche, on t’invitera à manger tout un repas.
    – Voyons, Micheline, on parle pas de ça.
    – C’est une très bonne idée de venir ici
manger le gâteau.
    – Même si on t’a fait payer le
taxi ?
    – Micheline !
    Veuve depuis deux ans, Blanche avait accepté
l’invitation même si elle avait secrètement souhaité franchir seule avec ses
fantômes le cap de la cinquantaine. Autant elle avait besoin du souffle de ses
absents pour respirer, autant elle ne pouvait vivre sans celui de ses filles.
    Le maître d’hôtel les avait installées à une
table dressée pour cinq personnes.
    – Croyez-vous que vos invités pourront se
joindre à vous malgré la tempête ?
    – Nous l’espérons.
    Élise avait répondu avec un sourire à faire
fondre les glaçons qui flottaient dans le pichet d’eau qu’un jeune serveur
s’était empressé de verser dans leurs verres. Elle le remercia d’un battement
de cils qui fit soupirer Micheline.
    – Maman, jure-moi que mes cils se
prendront jamais pour des ailes d’oiseau. Je veux pas avoir l’air d’une oie à
dix-huit ans, moi.
    Élise prit une petite gorgée tandis que
Blanche s’amusait du propos de sa cadette. On leur versa ensuite du champagne
et Élise insista pour qu’on serve aussi leurs invités, sous le regard torve du
sommelier.
    Blanche et Élise prirent chacune deux coupes
et, avec Micheline, portèrent un toast à cinq verres.
    – À tes cinquante ans, maman !
    – Et à tous nos fantômes ! renchérit
Micheline en ricanant.
    Élise fusilla sa sœur du regard lorsqu’elle
vit se brouiller celui de sa mère. Elle déposa son verre et baissa le front.
Blanche n’était plus avec elles. Sa mère n’avait pas retrouvé son sourire et
Élise avait laissé le sien lui échapper. Blanche n’avait réussi à éteindre que
quarante-huit de ses cinquante bougies et n’avait
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