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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange
Autoren: Arlette Cousture
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pas soufflé une seconde fois,
regardant plutôt la paraffine couler comme des larmes sur le glaçage avant de
se ressaisir. Élise vit dans cette maladresse un signe qui confirmait ses
pensées : sa mère aussi avait cessé de vivre depuis deux ans. Blanche
s’agita, fit un rictus qu’elle croyait rassurant et écrasa les deux dernières
mèches entre son pouce et son index. Le temps que le serveur coupe le gâteau,
elles avaient retrouvé leur bonne humeur.
    En sortant de l’hôtel, elles poussèrent toutes
les trois un cri d’étonnement amusé. La tempête avait pris de la force,
accumulant la neige au point de faire disparaître la bordure du trottoir. Le
portier, au paletot de plus en plus blanc, haussa les épaules en ouvrant les
bras d’impuissance.
    – Les taxis ont disparu. Soit qu’ils sont
coincés dans la neige quelque part, soit que leurs chauffeurs sont bien au
chaud dans leurs maisons.
    – Pourquoi est-ce qu’on couche pas à
l’hôtel ?
    – Parce que, ma pauvre petite sœur, on
s’appelle Lauzé, pas Rockefeller !
    Blanche se demandait si elles pourraient
rentrer à la maison à pied.
    – Et des autobus, il y en a ?
    – Oui… si on peut dire. Il y en a un qui
est passé il y a peut-être cinq minutes.
    – Venez, les filles. On peut se rendre à
Park Avenue.
    – Ça, c’est le fun !
    Élise saisit le bras de sa mère après que
toutes trois eurent enfoncé leur toque, monté le col de leur manteau et
recouvert leur nez de leur écharpe. Elles marchèrent pendant près d’une heure,
silhouettes blanches et voûtées sous une neige qui tombait de plus en plus dru,
et dépassèrent l’autobus, enlisé dans plus de quinze pouces de neige. Plus
celle-ci tombait, plus la ville devenait silencieuse. Bientôt, elles
entendirent parler les gens qui se trouvaient à un demi-mille d’elles.
    – On se croirait en pleine campagne.
    Elles arrivèrent enfin à Park Avenue,
transies, et virent l’éclairage diaphane d’un casse-croûte que la neige
enjolivait. Quatre clients, emmitouflés pour affronter la tempête, leur tinrent
la porte.
    Elles entrèrent et s’affalèrent sur une
banquette vert pomme en imitation de cuir, fendillée. Le prélart, usé par des
générations de clients, laissait entrevoir des planches de bois sans grain ni
couleur. Blanche et ses filles tirèrent sur leurs doigts de gants avec leurs
dents et enlevèrent leurs bonnets, laissant apparaître trois têtes ébouriffées
dont elles ne se formalisèrent pas. Tempête et coquetterie ne s’étaient jamais
bien accordées.
    La serveuse, une gentille dame aux cheveux
blancs jaunis, leur apporta trois laits au chocolat bien chauds. Micheline
avala le sien sans prendre le temps de respirer tandis qu’Élise et Blanche se
réchauffaient les mains sur leurs tasses. Pour ne pas désoler la dame, elles
acceptèrent une soupe maison où flottaient des pâtes alphabet et des yeux de
graisse. Blanche, dont l’appétit avait été comblé au Ritz, n’en prit que deux bouchées
alors que ses filles nettoyèrent le bol avec une tranche de pain. La dame resta
debout à la fenêtre, qu’elle essuyait avec son tablier pour tenter de voir à
l’extérieur.
    – Ça fait au moins deux heures que
j’aurais dû fermer, mais je me suis dit qu’il y avait peut-être du monde de
pris dans la tempête, ce qui fait que j’ai fait une soupe de fond de
frigidaire. Il y a rien de meilleur pour se réchauffer le canayen . De
toute façon, mon mari doit encore travailler.
    Elles acquiescèrent toutes les trois tandis
que la dame leur versait ce qui restait au fond de la casserole.
    – J’ai pas souvenir d’avoir vu une
tempête comme ça un vingt-sept février.
    – Moi non plus. D’habitude, après la
Saint-Valentin, on a la paix.
    Micheline avait répondu avec un aplomb qui n’étonna
pas sa mère. Blanche allait rétorquer qu’il y avait eu une tempête probablement
semblable à celle-ci en 1908, le jour de sa naissance, lorsque la porte
s’ouvrit toute grande, laissant entrer un tourbillon de neige si épais et
violent qu’il cachait presque le mari de la serveuse.
    – Ah ben ! v’là mon bonhomme de
neige ! Je t’espérais plus.
    La dame débarrassa la table et lava les
assiettes à toute vitesse tandis que son mari vidait la cafetière en reniflant
sans cesse. Blanche et les filles réenfilèrent leur manteau à contrecœur et
reprirent leurs gants, encore humides, posés sur un calorifère. L’homme
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