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L'abandon de la mésange

L'abandon de la mésange

Titel: L'abandon de la mésange
Autoren: Arlette Cousture
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renâcla
un bon coup, puis sourit à Élise dont la longue chevelure noisette venait de
disparaître sous un bonnet.
    – Où que tu restes ?
    Élise jeta un coup d’œil à sa mère avant que
celle-ci réponde qu’elles habitaient avenue Querbes, entre l’avenue Laurier et
le boulevard Saint-Joseph. L’homme, sans aucune discrétion, interrogea son
épouse d’un coup de tête avant de hausser les sourcils et de pincer les lèvres.
Sa femme comprit et sourit.
    – Je pense que c’est une bonne idée, si
les belles madames s’accommodent d’Oscar. Suivez-nous.
    De la neige jusqu’aux cuisses, les quatre
femmes se retrouvèrent sur ce qui avait été un trottoir quelques heures
auparavant, mettant quelques minutes à trouver leur souffle dans la tourmente
tandis que le mari verrouillait la porte derrière elles. Lui emboîtant
péniblement le pas, elles passèrent dans une ruelle pour se retrouver nez à nez
avec Oscar qui, recouvert d’une épaisse couverture grise, mâchouillait son
avoine. Élise et Micheline poussèrent un « ho ! » muselé par
leur écharpe.
    – Un cheval et un traîneau, maman !
C’est le fun !
    Blanche ferma les yeux pour remercier Clovis
de protéger ainsi ses femmes, et Émilie, sa mère, de lui expédier le plus
étonnant des cadeaux d’anniversaire.
    Blanche et ses deux filles se retrouvèrent
bien au chaud sous une peau d’ours dans le traîneau que tirait Oscar,
apparemment insensible au vent, au froid et à la neige. Élise croyait rêver,
aspirée dans un néant tout blanc où seul le son des grelots cloués à l’avant du
traîneau la retenait à la réalité de la nuit. Elle inspirait profondément l’air
de ces limbes et elle aurait juré que le froid avait la même odeur qu’un orage.
Leurs bons Samaritains étaient assis à l’avant, collés l’un contre l’autre et
protégés par d’épaisses couvertures. Remises de leur surprise, les passagères
n’en croyaient pas leurs yeux d’avoir presque tout Park Avenue à elles seules.
Tantôt elles devinaient la silhouette du mont Royal grâce à un lampadaire,
tantôt, au contraire, elles étaient perdues dans l’enfer des tourbillons de
vent.
    Blanche repensait à sa pauvre mère qui avait
été seule à se débattre contre cette nature déchaînée et qui s’était vue forcée
de s’ouvrir pour une naissance qui l’avait précipitée dans le plus profond
désespoir. Quelle triste histoire que celle de sa naissance !
    – Tu pleures, maman ?
    – Sais-tu, je pense que oui…
    Émue, Élise prit la main gantée de sa mère et
posa sa tête sur l’épaule accueillante malgré la neige qui la recouvrait. Elle
sut gré à la nuit de cacher son trouble. Elle espérait que le chagrin que les
cinquante ans de sa mère avaient fait surgir du plus profond de son âme
n’allait pas rouvrir la plaie de l’insoutenable absence de son père. Elle se
tenait toujours pour responsable de la mort de ce dernier, et sa mère n’avait
permis à personne d’entrer dans le caveau de son veuvage. Élise restait donc à
la porte, ne trouvant mot pour la forcer. Jamais elle ne se pardonnerait de ne
pas avoir retenu son père, ce jour-là.
    Profitant des rares instants d’accalmie,
M. et M me  Avoine leur faisaient la conversation.
    – Je vous l’avais pas dit, mais mon vieux
travaille sur le mont Royal.
    – Puis en été j’ai une belle voiture à
six places confortables.
    – C’est ça qui arrive quand un gars de la
campagne se retrouve à Montréal puis qu’il est malheureux comme une pierre.
    – Je voulais retourner sur la terre du
père.
    – C’est là qu’on a pensé que mon vieux
pouvait peut-être louer une ou deux stalles à l’écurie de la rue Villeneuve.
Puis on a épargné assez pour acheter une picouille qui nous a donné Oscar en se
faisant servir par un vieux cheval de course à la retraite.
    – Ça fait que, pour un gars de la ville,
je fais pas mal habitant avec mon cheval, mon traîneau, ma voiture, mon nom
puis celui de ma femme.
    – Votre nom !
    – Oui. Comme vous me voyez-là, je suis
Pit, le plus jeune des fils à Isidore Avoine, puis j’ai épousé une petite
Beauchamp.
    Micheline éclata de rire en répétant :
« Beau champ d’avoine ! » Blanche l’imita d’un rire si
cristallin qu’il réchauffa Élise. L’adolescente se cala encore plus
profondément sous l’aisselle de sa mère.

– 2 –
     
     
    Pâques aurait été sans histoire si
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