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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins
Autoren: Robert Merle
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tranchais assez volontiers du seigneur avec Toinon. Mais quand on en
venait aux actes, j’avais la sagesse de faire confiance à son expérience en lui
laissant les guides et la direction de l’attelage. Et à la vérité, elle fit
merveille, pour la raison qu’elle ne se contenta pas de me déniaiser. Elle
m’apprit aussi les enchériments, les approches et les complaisances :
gentillesses, disait-elle, que toute femme apprécie chez un galant au moins
autant que la virilité.
    Toutefois, malgré mes prières, et elles furent pressantes et
répétées, je ne pus jamais obtenir d’elle qu’elle passât la nuit avec moi. Elle
arguait que, partageant son lit avec une autre chambrière, elle ne voulait pas
lui donner l’éveil en s’absentant de sa couche. Je la crus sur l’instant, je la
décrûs ensuite, m’étant vite aperçu que nos amours ne faisaient pas plus
mystère au logis qu’il segreto di pulcinella [2] . Je
pensais alors qu’étant grande dormeuse, Toinon voulait dormir tout son saoul.
Mais ce n’était pas encore la vraie raison. Et celle-là, je ne la sus que
beaucoup plus tard, de la bouche de Mariette, quand Toinon nous eut quittés,
bien dotée par mon père, pour épouser un boulanger. « Dormeuse,
Monsieur ? me dit Mariette, ma fé, vous n’y êtes point du tout ! On
lui avait commandé de respecter vos nuits, pour ce qu’on savait que cette
ardente garce n’y allait pas que d’une fesse et qu’on craignait quelle ne vous
mit à plat à force de vous satisfaire. »
    Ma pauvre Frédérique qui ne me voyait plus jamais au bec à
bec, et quand elle me voyait n’osait même plus me toucher la main, m’adressait,
de ses larges yeux bleus, des regards désolés. Et j’éprouvais de grands remords
à la voir si triste, alors que j’étais moi-même si joyeux, apportant à mes
études et à mes exercices une force nouvelle. À vrai dire, je me demandais
souvent pourquoi la raison que mon père avait mise en avant pour désunir nos
sommeils ne jouait pas aussi pour Toinon. Et naïvement je m’en ouvris à
l’intéressée. Elle ne fit qu’en rire : « C’est que moi, mon mignon,
dit-elle, j’ai appris à me prémunir contre cette embûche-là ! Vramy, si
j’avais à cette heure autant d’enfants que j’ai eu de galants, je serais morte
de verte faim, et les enfantelets aussi ! »
    À y repenser aujourd’hui, je me fais là-dessus quelques
petites réflexions aigrelettes, plaignant ma pauvre petite sœur de lait qui, en
ce monde au moins, fut bien plus mal récompensée de ses vertus que Toinon de
ses péchés.
    Même à douze ans, on n’eût pu m’accuser, comme le jeune Duc
de Guise, de ne rien faire de mes jours. Le matin, j’étais de sept heures à
onze heures à mes leçons avec Monsieur Philipponeau. Monsieur Martial et
Geneviève de Saint-Hubert.
    Après une repue rapide, à onze heures, je prenais une leçon
d’équitation dans le célèbre manège de Monsieur de Pluvinel et une leçon
d’escrime avec Monsieur Garé, disciple du grand Silvie. Mon père assistait
toujours à ces leçons et aimait lui-même avec Monsieur Garé tirer l’épée, fine
lame qu’il fut toujours.
    L’après-midi, après une deuxième collation, tout aussi
légère que la première, je faisais, d’ordre de mon père, un petit somme d’une
heure pendant lequel, à dire le vrai, je rêvais davantage que je dormais. Après
quoi, je me mettais aux lectures et aux exercices que mes maîtres m’avaient
prescrits. Cette tâche me tenait occupé jusqu’à six heures, heure à laquelle
nous dînions, mon père. Monsieur de La Surie, et moi-même.
    À partir du moment où Toinon entra dans ma vie, les rêveries
de ma sieste laissèrent place à de plus tangibles délices. C’était là, à la
vérité, davantage un délassement qu’un repos, mais, à mon âge, vif et
infatigable comme j’étais, j’avais moins besoin de sommeil que de relâche, mes
journées étant si austères : il n’était jusqu’à l’heure du dîner que mon
père ou Monsieur de La Surie ne voulussent mettre à profit pour sonder ou
accroître mes connaissances, et véritablement, c’est seulement la nuit que je
n’apprenais rien.
    Or, un mardi après-midi, dans ma chambrette, alors que je
cueillais, avec ma Toinon, les roses de la vie, j’entendis un carrosse rouler
sur les pavés de notre cour. La Duchesse de Guise ne manquant jamais de nous
visiter le mardi, je ne doutais pas que ce fût elle, mais
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