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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire
Autoren: Zoé Oldenbourg
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quand tout sera fini, dit-il, cette fête me donne plus de soucis qu’un départ pour la Terre Sainte. Ce que je peux en prélever sur mes terres ne couvre pas la moitié des frais, et j’aurai des dettes pour trois ans.
    — Vous avez de bonnes nouvelles de Votre fils ?
    — Assez bonnes. Mais j’ai bien hâte de le voir.
    — C’est la vie ! dit Joceran, vous perdez votre père, vous retrouvez votre fils. Il doit bien avoir dix-huit ans, maintenant.
    — Même dix-neuf, je crois. Je ne sais trop ce qu’ils lui ont appris, en Normandie. Mais, comme on dit, un garçon qui a vu du pays en vaut deux. Aussitôt chevalier, je le marie, et je l’envoie faire ses quarante jours de croisade dans le Midi, puisque moi-même je ne peux plus y aller. Qu’il apprenne ce que pèse le haubert, ça lui fera connaître la vie.
    — Eh oui, dit Joceran, ce n’est pas le bon âge pour les jeunes gens qui restent dans le pays : ils pensent trop aux dames et aux demoiselles. Moi, pour mes demoiselles, je prends mes précautions, hé, hé ! » Ernaut lui lança un regard mauvais d’en dessous ses cheveux plats.
    Comme les deux cousins se reposaient après le repas, les jeunes gens en profitèrent pour descendre dans la cour. Ida et Mainsant, dûment surveillées par leur vieille servante, s’amusaient à regarder leurs reflets noirs sur le morceau de ciel blanc coupé en quatre par les arceaux de fer dans le profond miroir lisse du puits. Le frère d’Ida, Gillebert, et deux de leurs cousins, étaient assis par terre près du puits. La bruyante escorte d’Herbert s’était retirée au château. Ernaut vint s’asseoir à côté d’Ida et lui prit les main
    « Tu es contente de me voir ? » Elle haussa doucement les épaules. Mainsant riait. « Il fait frais », dit Ida. Ernaut l’embrassait sur les joues et sur les lèvres et sur le cou, et elle l’écartait paresseusement, se trémoussant un peu, comme pour chasser une mouche trop têtue. « Tu as parlé à ton père ? demandait-il.
    — Mais oui… dit-elle, indifférente. — Et il ne veut pas ? » Elle secoua la tête. « Parce que je suis bâtard ? » Elle dit : « Oui…
    — Il fait bien le fier. Moi, je sais au moins qui est mon père.
    — Ne dis pas de mal de mon père, dis donc, toi, fit la jeune fille.
    — Si tu voulais, toi…, dit Ernaut, il voudrait aussi. Mais tu es trop fausse. » Et il l’embrassa encore, et elle l’écarta de nouveau. Depuis quelque temps il l’embrassait trop souvent et trop fort, et elle n’aimait pas cela.
    « C’est vrai, Ernaut, demanda Mainsant, que ton frère arrive bientôt de Normandie ?
    — Qui demande ce qu’il sait use sa langue pour rien.
    — On le dit très beau garçon, dit Ida.
    — Le vieux Girard a dit qu’il sait lire et chanter des vers, ajouta Mainsant.
    — Et écrire des chansons, dit encore Ida.
    — Vous allez voir, dit Ernaut, il va vous parler du nez, avec son accent normand.
    — C’est vrai, demanda Ida, que tu lui serviras d’écuyer le jour de son adoubement ?
    — Je ferai ce que mon père dira, dit Ernaut, très rouge ; il en avait assez d’être une cible pour la gaieté des jeunes filles. Ce n’est toujours pas vous qui lacerez son haubert ni ses guêtres, il y a de plus belles dames que vous, à Troyes.
    — Tu n’as qu’à les aimer, alors, dit Ida en riant. Viens, Mainsant, et voilà des perce-neige pour Ernaut, pour qu’il s’en fasse une couronne le jour où il sera chevalier. »
    Elle prit par terre une poignée de fleurs fanées et les jeta sur Ernaut. Des éclats de rire frais fusaient autour de l’orme. Les jeunes filles parties, Ernaut se mit à regarder le ciel blanchir au fond du puits.
HAGUENIER : I. PREMIÈRE RENCONTRE
    Haguenier de Linnières, ou de Hervi, comme il s’appelait lui-même, du nom de l’héritage maternel, rentrait de Normandie avec le vieil écuyer que son père lui avait envoyé pour l’accompagner. Devant Troyes, il congédia le vieux, chargé de porter au père les lettres du baron de Coucy, ancien maître du jeune homme. Haguenier comptait passer quelques jours à Troyes près de sa sœur qui devait s’y trouver avec son mari pour la Mi-Carême.
    Il passait par les rues de Troyes, n’en revenant pas de les trouver si petites et si étroites. Il y retrouvait à peine ses souvenirs d’il y a dix ans : les quais de la Seine, avec les tourelles sur les ponts, les remparts, et la place devant le château.
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